Sans parler de Risen, de
La Confession[1],
ou du dessin animé L’Etoile de Noël, qui
datent tous de l’année dernière, en deux mois cette année sont sortis un nombre
étonnant de films traitant de manière plus ou moins directe du christianisme :
trois films américains - Jésus, l’enquête,
Marie Madeleine et Paul, Apôtre du Christ - et deux films
français, L’Apparition et La Prière (photo ci-contre).
De quel phénomène étrange ces vaguelettes venues
d’outre-Atlantique et de l’aval rhodanien sont-elles le signe ? Sont-elles
nées d’une faille laissée béante par le mouvement de déchristianisation
accélérée de nos sociétés occidentales ? En tous cas, elles n’ont pas du tout
la même forme, selon leur origine.
Aux États-Unis, où la religion a toujours été présente dans
l’espace et le discours public, aujourd’hui un jeune de 18-29 ans sur trois
finit par abandonner la religion, s’il en a déjà une[2].
Les jeunes américains adhèrent à une pseudo-religion molle que certains
chercheurs[3]
ont appelée un « déisme éthico-thérapeutique ». Dans ce contexte, les
films Jésus, l’enquête et Paul, Apôtre du Christ (ci-dessus), sont clairement
produits pour évangéliser les masses devenues ignorantes en matière de
christianisme.
Je ne m’attarderai pas sur Jésus,
l’enquête qui a fait l’objet d’une critique consultable sur notre site[4].
Dans cette adaptation d’un best-seller, un journaliste américain
d’investigation raconte sa propre expérience de conversion en 1980, alors qu’il
tentait de prouver à sa femme, en enquêtant de manière systématique et
rigoureuse sur le Christ, que ses croyances chrétiennes n’étaient que chimères
reposant sur des affabulations.
Au niveau formel, cette production chrétienne respecte les standards
de « qualité » des films hollywoodiens, et semble s’être calée sur
les figures imposées des films d’enquête. Ce soin accordé à l’emballage permet
de s’adresser à un public non-croyant sans le rebuter d’emblée, et d’aborder la
question de la crédibilité historique des Évangiles.
Autre « faith-based movie », cette fois produit par
Affirm Films, la filiale de Sony dédiée à ce genre de films : Paul, Apôtre du Christ. L’histoire est
située à Rome en 67, sous Néron. L'empereur persécute les chrétiens, accusés
d'être à l’origine du grand incendie qui a dévasté la ville trois ans plus tôt.
Tandis que Paul attend son exécution dans un cachot, Luc arrive de nuit d'Éphèse
pour tenter de le visiter clandestinement. Le médecin grec se faufile dans des
ruelles éclairées par des chrétiens transformés en torches vivantes. Il se rend
d’abord chez un couple ami de Paul, Aquila et Priscilla, qui accueille des
dizaines de réfugiés. Cette communauté chrétienne est partagée sur la stratégie
à adopter : quitter Rome avant d’être massacrée, ou rester pour aider ceux
qui resteront. Luc arrive à s’introduire clandestinement dans la cellule de
Paul, pour obtenir ses conseils et recueillir ses dernières paroles.
Le choix de circonscrire le drame à une période courte est judicieux
dans la mesure où il permet de faire vivre les personnages des Écritures et
leurs contemporains en les ancrant dans une réalité. Luc rapporte notamment à
Paul les tensions qui traversent la communauté chrétienne de Rome :
certains veulent prendre les armes. Mais
Paul affirme que « le mal ne peut
être vaincu que par le bien ». Le spectateur ne peut manquer de penser
aux chrétiens du Proche-Orient ou d’ailleurs, pour qui se pose dramatiquement
ce choix de la non-violence, fondamental dans le message évangélique. Un carton
avant le générique final dédie d’ailleurs le film « à tous ceux qui ont été persécutés pour leur foi ». Et si le
scénario bouscule les époques et mélange personnages réels et fictifs, c’est
probablement pour inventer un temps de tourmente presque emblématique. Autre
choix notable du réalisateur Andrew Hyatt : la violence de l’empire romain
reste en arrière-plan. Paul, Apôtre du
Christ est un péplum sans grand spectacle, au demeurant parfois un peu mou
au niveau dramaturgique. Les moments les plus réussis
sont ceux où Paul
dialogue avec Luc ou avec le préfet Mauritius, gouverneur de la prison. On y
retrouve des passages des textes pauliniens, incarnés dans des situations
concrètes, et portés par le jeu sobre des acteurs principaux : James
Faulkner (visage en lame de couteau, qui joue Paul), Jim Caviezel[5]
(Luc) et Olivier Martinez (le préfet). Cette dimension intimiste rend bien
compte d'une communauté qui se développe à partir des relations personnelles,
montrant ainsi que le christianisme ne procède pas par des changements
spectaculaires, mais par la transformation des personnes.
Universal, son distributeur en France, présente Mary Magdalene comme « un biopic biblique racontant l'histoire
de Marie de Magdala, une jeune femme à la recherche d'un nouveau mode de vie.
Contrainte par les hiérarchies de l’époque », elle défie son père
et son frère en refusant les époux qu’ils veulent lui imposer. Alors, quand « le charismatique » (sic) Jésus
passe par son village des bords du lac de Tibériade, Marie rejoint son « nouveau mouvement social » (sic).
Ce film a le mérite de réconcilier le vulgum pecus avec le latin : c’est un péplum, un interminable
pensum et, au plan religieux, un bubble-gum protestant, parfums born again, adventiste, et apocryphe. « Je te baptise pour tu sois né de nouveau et
prêt pour le Royaume qui vient », marmonne Jésus, péniblement interprété
par un Joaquin Phoenix qui prend constamment la pose « chamane inspiré ».
La musique est omniprésente, le scénario mal construit, le découpage grossier.
Pendant deux heures, on nous sert un souping
glacial (Rooney Mara, dans le rôle-titre, est un glaçon bio) sur laquelle les
évènements arrivent comme des cheveux gras. Aux textes bibliques, le jeune
réalisateur australien Garth Davis (laissant les comédiens improviser) a
préféré des dialogues superficiels ou des longs plans sur les personnages
méditatifs. En tous cas, cette andouillerie triple A (une production australo-américano-anglaise)
garantit la présence de tous
les ingrédients politiquement corrects : un
guérisseur cool qui, la nuit de son
arrestation, caresse l’écorce d’un olivier ; deux acteurs noirs parmi les
disciples (dont Pierre !) ; un Français (Tahar Rahim) pour jouer le traître
(Judas), tradition anglo-saxonne du french
bashing oblige ; et une figure proto-féministe en guise d’héroïne,
victime du patriarcat de la société juive de l’époque, ni prostituée, ni
possédée (exit, les 7 démons), et la seule à avoir compris Jésus (la vérité est
en chacun de nous, idiot !). L’Église n’est qu’une bande de crétins
machistes, comme en témoigne ce dialogue final, d’un anachronisme raffiné :
« Nous sommes là [=les hommes] pour fonder l’Église », dit Pierre,
le dimanche de Pâques (!) et répandre un
message. - TON message, pas le Sien »,
lui balance MM comme on balance son porc.
L’ironie de l’histoire, c’est que Mary
Magdalene n’est toujours pas sorti aux États-Unis car il devait y être
distribué par… la Weinstein Company, actuellement en grande difficulté !
Issus de la terre sainte de la laïcité, L’Apparition et La Prière
ont été réalisés par des cinéastes français appréciés par la critique, et
revendiquant un point de vue agnostique pour le premier, athée pour le second.
Ce positionnement explique l’accueil étonnamment peu agressif fait à leurs derniers
films. Espérons que cela contribue à désensibiliser un peu les critiques
allergiques au christianisme, et ouvrent la voie à d’autres tentatives.
Dans L’Apparition, Jacques
(Vincent Lindon, toujours aussi authentique), reporter de guerre à
Ouest-France, est de retour de Syrie où il a perdu un ami photographe lors
d’une explosion. Déprimé, sujet à des acouphènes et des accès de surdité, il
s’enferme chez lui. Il reçoit un coup de téléphone d’un émissaire du Vatican
qui lui demande de participer à une commission d’enquêtes pour juger de la
véracité d’apparitions mariales signalées dans le Sud-Est de la France : « Parfois le phénomène prend de
l’ampleur et des pèlerins commencent à affluer sur les lieux des supposées
apparitions. Et c’est exactement ce qui est en train de se passer là-bas. La
préfecture parle désormais de trouble à l’ordre public. La jeune voyante s’appelle
Anna. Depuis ses visions, elle est très protégée par le prêtre de la paroisse,
un franciscain qui ne répond plus à nos demandes de renseignements (…) Il
s’agit simplement de faire une enquête de terrain et de rassembler des éléments
en faveur ou en défaveur de ces apparitions. Vous serez rémunéré et vous aurez
toute liberté dans vos recherches. » Éloigné
de la religion, Jacques découvre
un univers qui lui est étranger. Il se rend à Rome, où il étudie les archives
relatives aux apparitions reconnues par l’Église ; puis dans le village
des Hautes-Alpes, où il intègre le groupe destiné à mener l’enquête canonique.
Les autres membres de la Commission (théologiens, psychiatre…) sont plus
sceptiques a priori que le journaliste agnostique. Celui-ci rencontre Anna (16
ans) et mène son enquête avec beaucoup de respect et d’honnêteté. Il va
découvrir des drames et des secrets… plus temporels.
Comme dans Jésus, l’enquête,
on est ici dans l’approche journalistique de faits religieux. Le film débute
sur un mode quasi documentaire et dérive progressivement vers un romanesque
délibérément confus. Les subterfuges narratifs utilisés s’apparentent à une
sorte de jeu de bonneteau un peu agaçant. Finalement, L’Apparition ne tient pas ses promesses et participe de tout
ce qui semble fasciner le réalisateur Xavier Giannoli : les fabulateurs,
l’esprit d’imposture, l’aveuglement. Et en même temps, Giannoli ménage une
petite ouverture, la possibilité d’une transcendance. Le résultat est
respectueux et sincère, mais faiblard. Et ni la musique énigmatique d’Arvo
Pärt, ni celle lyrique de Georges Delerue, ne suffisent pour ouvrir le film au
mystère et à la spiritualité.
La Prière est l’histoire d’un toxicomane de 22 ans, Thomas, qui rejoint à
contrecœur une communauté dirigée par d’anciens drogués quelque part dans les
Alpes. Les règles de vie y sont strictes : aucun contact avec
l’extérieur, plus un instant de solitude. Thomas ne fait que travailler et
prier, jusqu’à l’absurde, sous l’aile constante d’une sorte d’« ange gardien ».
Un jour, il craque, fuit et se réfugie dans une ferme où une jeune fille, dont
il s’éprend aussitôt, lui conseille de retourner à la communauté.
Les méthodes au forcing de cette communauté étouffante, voire
parfois inhumaine et sectaire (cf en particulier la scène avec la fondatrice,
jouée par une inquiétante Hanna Schygulla) sont constamment justifiées par
l’enjeu : c’est ça ou la mort. Cela peut donner une fausse idée des
communautés religieuses. Et certains ne manqueront pas de conclure que Thomas
passe d’une drogue à une autre, comme ce camarade qui lui dit « T’es accro ! » parce
qu’il prend la Bible avec lui quand ils partent gravir la montagne. Au fond, le
problème du scénario, c’est le mélange entre religion et thérapie. La Prière n’en reste pas moins le plus
beau des cinq films présentés ici. Pour l’essentiel, les paroles du film sont
des prières (le Credo, le Je vous salue, le Notre Père, les psaumes 3, 26, 144).
L’approche respectueuse du réalisateur réussit à ne pas rendre ridicules de
périlleuses scènes de chant. Cédric Kahn, qui a été assistant monteur sur Sous le soleil de Satan de Pialat, a
l’humilité nécessaire pour aborder un tel sujet. Contrairement à Giannoli, il
s’efface, et fait confiance au cinéma pour révéler quelque chose de mystique. Son
style à la fois naturaliste et inspiré capte des moments de grâce, comme cette scène
de petit miracle que vit Thomas dans la montagne, ou la superbe scène finale
qui rappelle celle de Pickpocket de
Robert Bresson.
La prière ne serait-elle pas une meilleure entrée pour aborder la
foi au cinéma que la preuve ? En tous cas, ce qui est étonnant dans les
deux films français, c’est qu’ils approchent le christianisme par sa composante
verticale, spirituelle, plus que par sa composante horizontale, fraternelle.
Celle-ci a été intégrée par nos sociétés occidentales, qui ne jurent plus que
par les droits de l’homme. La verticalité intrigue davantage parce que c’est ce
qui manque le plus. Selon une étude récente[6],
70% des jeunes Français ne prient jamais et 57% de ceux qui se disent
catholiques affirment ne prier presque jamais. C’est la faille française à
l’origine de cette vaguelette.
[1] Nouvelle
adaptation du roman Léon Morin,
prêtre, après celle, géniale, de Jean-Pierre Melville en 1961.
[2] D’après
une étude du Pew Research Center.
[3] Les
sociologues Christian Smith et Melinda Lundquist Denton.
[4] https://www.choisir.ch/arts-philosophie/cinema/item/3087-jesus-l-enquete
[5] The Thin Red Line de Terrence Malick
(1998), The Passion of Christ de Mel
Gibson (2004).
[6] De
l’Institut Catholique de Paris et de l’Institut Benoît XVI d’une université
londonienne.
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