Ce
choix formel du réalisateur Dalibor Matanic est vraiment bien exploité. D’une
histoire à l’autre, les deux comédiens conservent forcément leur âge et leur
tempérament, mais ils sont aussi chargés du vécu de leurs personnages
précédents, à la fois du fait d’une rémanence automatique chez le spectateur,
et d’une subtile résonance scénaristique d’éléments des récits. C’est surtout
le contexte qui change en vingt ans : dans la première histoire, les
tourtereaux vivent dans un rapport direct avec la nature, et leur naïveté va se
briser avec la fracture ethnique de leurs communautés ; dans la dernière
histoire, s’ajoute une perturbation d’un autre ordre : l’intrusion d’un
mode de vie urbain hédoniste, à base de techno-coke-sexe et bains de minuit.
Les
scènes qui débutent chaque segment, en assurant la transition, sont
particulièrement réussies. En 2001 par exemple, une succession de plans sur les
ruines criblées de maisons campagnardes en dit long sur l’effroyable décennie
qui a précédé. Chacun des courts-métrages dure environ quarante minutes, et
Dalibor Matanic prend son temps (parfois un peu trop) pour montrer
l’apprivoisement amoureux en dépit des ressentiments communautaires et
personnels. Il sait ménager des respirations en offrant des plans sur des
objets de l’intimité des familles ou sur les paysages, depuis les intérieurs
modestes, dans la lumière dorée de l’été.
Malgré
ses qualités et son prix à Cannes l’année dernière dans la section Un certain
regard, Soleil de Plomb risque de
passer inaperçu face à… Batman contre Superman.
Deux
hommes armés en cavale au Texas dans une Chevrolet. A l’arrière : un
garçon de huit ans, portant des lunettes de natation bleues. Il s’appelle
Alton et c’est lui l’objet de la traque. Quand vient la nuit, Alton retire ses
lunettes pour lire une BD, tandis que Lucas, le conducteur, met des lunettes
infrarouge et roule à toute allure, phares éteints. A ses côtés, son ami
d’enfance Roy, le père d’Alton, les guide vers un lieu énigmatique. Ils sont
pourchassés par les sbires d’une secte et les agents du gouvernement (la
totale : police / armée / FBI / NSA) : les premiers voient en Alton
un messie salvateur, les seconds une arme dangereuse. Il faut dire que des
sortes de rayons laser sortent inopinément de ses yeux, que son cerveau capte
les ondes radio, et qu’il fait tomber les satellites lorsqu’ils deviennent un
peu trop fouineurs…
Dans Midnight Special comme
dans ses deux films précédents - Take Shelter et Mud[1] -, Jeff
Nichols sait installer le mystère et ne l’éclaircir que progressivement, au fil
des évènements. On retrouve également la figure paternelle (Michael Shannon,
acteur fétiche de Nichols), isolée, marginale, en fuite, seule contre tous,
contre la logique et le sens commun ; sa composante prophétique est ici
transférée au fils, prescient malgré lui d’un événement imminent à portée
universelle.
Mais
cette fois, ça ne tient pas la route : Midnight Special démarre
comme un film de poursuites tendance thriller millénariste, emprunte la voie du
fantastique, bifurque vers le drame psychologique (l’histoire de parents contraints
de faire une confiance aveugle en leur enfant) et aboutit au film de
science-fiction[2]. Aucune de ces
pistes n’est vraiment exploitée et le scénario laisse de nombreuses portes
entrebâillées. Les petites touches de néo-spiritualisme n’arrangent rien : le
« réconfort » que procure
un face à face avec l’enfant au regard laser, la lumière[3] de
l’au-delà, forcément intense, les aliens qui nous « surveillent ». Et
la séquence finale de révélation fugace de « l’autre monde » témoigne
d’un imaginaire pauvre et publicitaire, aussi décevant que celui qui gâchait la
fin de A Tree of Life,
de Terrence Malick. Quant aux personnages, ils ne sont pas attachants, et on ne
croit pas à la famille composée par le gamin (glacial), Michael Shannon
(toujours aussi marmoréen) et Kirsten Dunst (ennuyeuse comme dans les films de
Sofia Coppola).
[1] Cf la
chronique de Choisir, juin 2013.
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