Aydin, comédien à la retraite,
tient l’Othello, un petit hôtel en Anatolie centrale. Il tire également revenus
d’autres biens immobiliers qu’il loue depuis toujours à quelques familles pauvres
du coin. A mesure que l’hiver s’installe, le notable local se trouve confronté
à l’hostilité sourde de certains habitants, et, à l’intérieur de l’hôtel qui se
vide, aux reproches perçants de sa sœur Necla et de sa jeune épouse Nihal. La
première était venue se réfugier à l’Othello après son divorce ; la seconde s’était
lancée dans l’aide humanitaire de proximité pour ne pas sombrer dans la
dépression.
Dans son septième film, Nuri
Bilge Ceylan fait preuve de la maîtrise plastique qui lui est coutumière. Mais les
trois heures de Winter Sleep sont d’une densité et d’une plénitude qui en font
son œuvre la plus aboutie : comme dans un roman de Dostoïevski, le film
captive progressivement, en tissant les rets de discordes intimes ou sociales. Le
cinéaste turc s’est toujours intéressé aux citadins cultivés un peu
superficiels, aux esthètes dépourvus d’enthousiasme, aux intellectuels sans
courage, aux moralistes sans droiture, aux individus socialement libres mais enfermés
dans leur égoïsme, aux êtres dont le sentiment de supériorité n’a d’égal que
leur mesquinerie, aux amants séduisants, trop secs pour aimer vraiment. Dans
Winter Sleep, on retrouve ces personnages las, cyniques et pathétiques, dont
les silhouettes minuscules se perdent dans les paysages insolites de Cappadoce
comme dans les tableaux romantiques de Caspar David Friedrich. Ceylan - qui dit
lui-même être un « grand
mélancolique » attaché à traquer «
tout ce qui se dérobe » - met en scène ces disputes froides et
étouffantes, ce jeu de massacre où aucun personnage n’est en reste, avec une
justesse qui rappelle certains films de Bergman. « Ta grande morale te sert à haïr le monde entier, dit Nihal à
son mari. Tu détestes les croyants parce
que croire, pour toi, est un signe d’archaïsme et d’ignorance. Tu détestes les
non-croyants parce qu’ils n’ont ni foi, ni idéal. » Lorsqu’il a reçu
la Palme d’or à Cannes, le réalisateur a dédié son film à la jeunesse turque, et
- de manière significative - à ceux qui ont « perdu
leur vie » dans les mouvements contestataires.
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