Héroïne à part entière ou simple objet
de décor, la montagne inspire le cinéma occidental depuis le début du XXe
siècle. Les festivals qui lui sont consacrés sont du reste nombreux, tel celui
des Diablerets en Suisse, qui proposera en août sa 45e édition.
Revisite de quelques films marquants.
Leni
Riefensthal, la fameuse cinéaste du parti nazi, raconte comment en 1924, alors
qu’elle est encore danseuse, elle voit dans le métro une affiche de La Montagne du Destin d’Arnold Fanck, où
un homme enjambe le couloir étroit d’une cheminée. Elle s’arrange alors pour rencontrer
le cinéaste allemand, qui écrit pour elle ses trois longs-métrages
suivants : La Montagne Sacrée, Le Grand Saut et L’Enfer Blanc du Piz Palü. Fanck, qui refuse toute doublure et
prise de vue en studio, soumet sa comédienne intrépide à des conditions de
tournage extrêmes : escalades à mains (et pieds !) nus, travail de
nuit sur les glaciers de l’Engadin à -28°C, confrontation avec une avalanche le
corps ligoté et suspendu le long d’une paroi…
En
1932, Riefenstahl réalise son premier long-métrage - La lumière bleue -, un conte romantique où elle joue Junta, une
jeune montagnarde innocente et un peu mystique qui vit à l'écart d’un village.
Les habitants la considèrent comme une sorcière, car elle est la seule capable
d'escalader les montagnes voisines et d'atteindre une grotte d'où brille, les
soirs de pleine lune, une mystérieuse
lumière bleue. « Ce bleu représente symboliquement l’idéal que l’on
n’atteint jamais », explique la réalisatrice, qui signera deux ans plus
tard… le Triomphe de la Volonté,
documentaire de propagande commandé par Hitler.
Cette
approche de la montagne comme lieu de dépassement a inspiré de nombreux réalisateurs,
jusqu’au bâlois Matthias Allfolter, auteur du documentaire Montagnes en Têtes sorti cette année. Pour les quatre personnages
du film, la passion pour la montagne est liée aux limites à dépasser, aux
records à battre, aux tentatives inédites. « On donne tout pour atteindre
un but », dit D. Arnold, détenteur du record de rapidité d’escalade de la
face nord de l’Eiger ; « le défi doit être si important que l’on
puisse penser qu’il est infaisable. »
Pour J. Grandjean, il s’agit de « passer là où personne n’est
passé » ; pendant 20 ans, il a atteint systématiquement tous les
sommets qu’il avait listés dans sa jeunesse. Le troisième, S. Siegrist, tente à
deux reprises de gravir le Makalu, au Népal, malgré les migraines atroces qui
réveillent le traumatisme d’une commotion et signalent les risques d’œdème
cérébral. Et W. Munter qui, à 70 ans, cherche encore de nouveaux itinéraires dans les recoins
les plus sauvages du Val d’Hérens, dit fort justement : « Si la montagne n’était que belle, je ne serais
pas devenu alpiniste. » A mesure
que ces hommes se racontent, on se rend compte que la haute montagne représente
pour eux un lieu de fuite et un refuge… qui à tout moment peut se transformer
en piège mortel. « J’ai perdu beaucoup de copains en montagne », dit l’un d’eux.
Vertical Limit, de Martin Campbell (2000), rappelle que ceux qui n’abordent pas la montagne avec
respect ont beaucoup de chance d’y rester. Lors d’une varappe dans le désert de l’Utah, Peter
doit, pour préserver sa vie et celle de sa sœur Annie, couper la corde où est
suspendu son père. Trois ans plus tard, ayant renoncé à ses rêves d’ascension,
il retrouve par hasard Annie au Pakistan. Celle-ci, qui lui reproche encore sa
décision, s’apprête à monter à l'assaut du K2, le deuxième sommet du monde
(8600 m). « Tu sais, je me sens
proche de papa quand je suis là-haut. Je touche son âme », lui dit-elle.
Elle accompagne Vaughn,
un milliardaire texan qui a
organisé l’expédition pour faire un coup médiatique. Prenant des risques
inconsidérés, Vaughn entraîne l’équipe dans une tempête effroyable. N’en
réchappent que ceux qui tombent dans une crevasse. Leur temps est compté car à 7300 m - la limite
verticale pour le corps humain -, l’œdème pulmonaire est rapide et fatal. Peter se lance à leur
recherche avec cinq volontaires. L’un
d’eux, un Afghan, interrompt son ascension et déroule son tapis de prière sous
l’œil goguenard de son coéquipier, un jeune qui vit l’alpinisme comme un trip, à l’instar de la « génération
surf », adepte d’herbe, de glisse et de sensations fortes.
On
retrouve cette figure dans Cliffhanger (1993),
un thriller en haute montagne : les deux jeunes qui disent « rechercher
l’extrême » trouvent rapidement la mort, tandis que le secouriste Gabe
(Sylvester Stallone), qui avait décidé de raccrocher les broches à glace et de
tourner définitivement le dos aux Rocheuses, va dépasser son traumatisme et
réaliser des prouesses improbables pour sauver un ami. Là encore, la montagne
magnifie l’héroïsme et châtie la présomption.
Mais
les habitants des montagnes ne sont pas en quête perpétuelle de pics à
escalader ! En 1952, l’Italien Luigi Comencini réalise un de ses premiers
longs-métrages, Heidi. Cette
production suisse, en noir et blanc, a été tournée dans les Grisons, sur les
lieux même où Johanna Spyri situait son roman. Heidi, 8 ans, est orpheline et
vit depuis deux ans sur un alpage avec son grand-père. Celui-ci se voit
reprocher un jour par le prêtre du village de ne pas avoir encore envoyé la
petite à l’école. « Heidi n’aime pas descendre au village », répond le vieil ermite, en froid avec
les villageois. Elle préfère folâtrer avec Pierre, le chevrier, dans les
prairies fleuries et monter à la Crête de l’Echo, où la montagne répond
toujours à ses appels… sauf quand ils sont moqueurs ! D’autant que Pierre
lui dit : « Il faut savoir ce qu’on veut : ou on lit les livres,
ou on reste à la montagne. - Alors j’apprendrai jamais à lire. » Mais la petite
est enlevée par sa tante pour tenir compagnie, en ville, à la fille paralysée
de gens fortunés. Heidi s’adapte, apprend à lire, se fait apprécier de tous,
mais la montagne lui manque. Un jour, elle fugue et monte tout en haut de la
cathédrale, espérant voir sa montagne chérie…
Proche
également des Heimatfilms, le
documentaire suisse Alpsummer (2013)
présente, sans commentaire, quatre familles du canton de Schwytz qui montent chaque été au Muotatal
avec les troupeaux que leurs confient des paysans. Thomas Horat - qui a coréalisé le film avec Salome
Pitschen - explique : « Je voulais capter la vie humble des Alpes, en montrant qu'il ne faut
pas beaucoup d'argent pour être heureux. » Effectivement,
tous ont l’air ravis, et on les comprend à voir ces scènes de transhumance dans
des paysages magnifiques où, avec l’aide de jeunes qui prennent congé pour
l’occasion, les troupeaux sont menés au son des clochettes, des bêlements et du
yodel. « Il y en a qui disent qu’ils en auraient marre après trois jours s’ils
ne peuvent pas aller boire un verre, dit
un éleveur. Tu dois t’occuper du bétail, des chèvres, du chien, leur
parler un peu. Se contenter de ce qui est, et ne pas avoir l’impression de
devoir aller voir un film ou autre chose. » Un autre travaille à
Victorinox jusqu’en avril, puis il monte au Glattalp avec ses enfants. « Ainsi
nous déménageons quatre fois par an. C’est notre vingtième année à l’alpage, on
a donc déménagé 80 fois ! On commence à maîtriser la logistique ! »
Cette
image idyllique de la montagne comme lieu naturel préservé et peu habité
correspond-elle encore à la réalité ? Aujourd’hui, les hauteurs semblent colonisées
par les citadins qui les considèrent comme des lieux de villégiature. Dans Les marmottes (1993), Elie Chouraqui met
en scène une famille bourgeoise parisienne qui a l’habitude de se réunir, lors
des vacances de Noël, dans un chalet à Chamonix. Comme dehors la tempête fait
rage, le scénario se concentre sur l’après-ski cocoon, et les seules difficultés rencontrées par les personnages relèvent
de la vie de couple.
Dans
L’enfant d’en haut (2012), par
contre, la réalisatrice suisse Ursula Meier adopte le point de vue de deux marginaux
indigènes, d’une vallée du Valais confrontée à cet envahissement saisonnier. Simon
(12 ans) et sa sœur Louise (Léa Seydoux) survivent dans une tour, entre un
champ et une route bordée de pylônes haute tension. Simon, qui ne sait pas skier,
monte chaque jour à la station pour détrousser les nantis et revendre ses
prises (skis, lunettes, gants) aux travailleurs saisonniers entassés dans leurs
dortoirs sans fenêtre.
On
est bien loin de Heidi dans ce film
réaliste et assez dur. La ville babélienne a contaminé le hameau des sommets. Dans
la vallée encaissée, où résonne le bruit des camions, des télécabines et des chaussures
de ski sur le béton, errent deux jeunes paumés, confrontés à la solitude et à l’indifférence…
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