Yael, une jeune journaliste,
arrive à Jaffa, dans la banlieue de Tel-Aviv, pour interviewer les proches
d’une femme décédée : une Polonaise rescapée de la Shoah, qui était venue
s’installer dans ce quartier palestinien après avoir épousé un Arabe ;
Hannah Klibanov se faisait appeler Ana Arabia (Je suis arabe). Yael déambule entre les masures d’un
mini-bidonville et recueille les témoignages de la famille, des voisins. Il y a
Yussuf, le veuf, qui gagne 30 shekels (7 CHF) par jour en récupérant des déchets
de chantiers : «Je ne cherche que
Dieu, pas l’argent.» Il y a son fils Wallid, un pêcheur au chômage ;
sa fille Miriam, qui cultive un jardin dans cet univers déglingué ; sa
belle-fille Sarah, juive, qui est restée après la mort de son mari Jihad. Sont
racontées des bribes de vie, des souvenirs épars, leurs histoires de couples
perturbées par leur mixité arabo-juive. Yussuf invite Yael à boire le thé avec
ses voisins dans la cour. « Ça fait
300 ans qu’on vit ici », dit l’un,
en manipulant son chapelet. « A
l’époque du mandat britannique, il n’y avait pas de racisme, les gens se
respectaient », regrette un autre, propriétaire d’un cheval et de quelques
poules errant entre les carcasses de voitures. « Ma maison était toujours ouverte aux visiteurs, dit Yussuf, comme la maison d’Abraham ». Aucun
ne souhaite quitter ce microcosme délabré pour aller louer, dans les immeubles
modernes et impersonnels qui l’entoure, une « cage
à lapins ».
Ana Arabia est sorti cet été en France alors que Gaza subissait depuis un mois les bombardements intensifs de l’armée israélienne. Deux
mois avant, Amos Gitai, le réalisateur, s’interrogeait : « Qu’est-ce que nous, les cinéastes,
pouvons faire ? Pas grand-chose, sinon ne pas nous livrer nous aussi
à la surenchère en ne filmant que la violence. Nous pouvons insister pour
montrer de petites îles, de petites enclaves de coexistence. C’est le projet d’Ana
Arabia. » Projet louable s’il en est. Pour autant, proclamer « Je lance une bombe de
paix ! » à la Mostra de Venise 2013, n’était-ce pas présumer de
la puissance et de l’habileté de l’artificier ?
Car quoi de moins
cinématographique que des personnages qui (se) racontent ? Or c’est ce qui
nous est proposé pendant ce plan-séquence de 81 minutes. Une (médiocre) pièce
de théâtre aurait suffi. La mise en scène est paresseuse : les entretiens
sont systématiquement « en activité » (arrachant des herbes, pelant
des patates, réparant une voiture, triant du linge). Et la désinvolture de Yael
(Yuval Scharf), sa légère suffisance face à des personnages dépressifs, a
quelque chose d’irritant : c’est un peu Bobo
Girl chez les fantômes. Elle ne
sait pas quoi faire de son corps. Quand elle prend des notes, on n’y croit
pas ; quand elle se dit bouleversée, encore moins. Ana Arabia est le film d’un cinéaste conceptuel… à qui la
Cinémathèque française a déjà érigé une statue en début d’année, en organisant une
rétrospective et une exposition.
Martin Joubert (Fabrice Luchini) a été éditeur à Paris. Depuis sept
ans, il vit avec sa femme et son fils dans le village normand de son
enfance : «Changement radical. Un
lieu où vivre est une affaire sérieuse.» Il a repris la boulangerie de son
père, et fabrique son pain en écoutant des émissions sur Flaubert, le grand
écrivain de la région. « J’ai cru
trouver ici, comme un tas de Parisiens aussi cons que moi, l’équilibre et la
tranquillité. C’est raté. » Car un jour, un couple de Londoniens emménagent
dans la maison voisine. Ils se nomment Gemma et Charles Bovery. Il n’en faut
pas plus au boulanger littéraire pour, se référant à l’histoire de Madame Bovary, interpréter les paroles
et les gestes de Gemma, prédire ses liaisons, et craindre sa fin tragique.
Martin ne se contente pas d’être voyeur : il entre dans le film qu’il se
fait, devient jaloux, et tente de tirer les ficelles romanesques à son
avantage. « Je sais que ça peut
paraître idiot », avouera-t-il finalement à Gemma, « mais il y a un moment où la vie imite l’art. »
Gemma Bovery est l’adaptation d’un « roman graphique »
(une BD avec moins de bulles, c’est plus chic). Lorsque Martin prête Madame Bovary à Mrs Bovery, il lui
présente le roman comme « une
histoire banale racontée par un génie. C’est devenu presque un
archétype. » Effectivement. Et l’on peut tout à fait être dénué de
génie et créer quelque chose d’intéressant à
partir d’archétypes. C’est peut-être le cas de la BD. Mais se contenter
d’accumuler les stéréotypes et les clichés, comme le fait la réalisatrice Anne
Fontaine, ce n’est pas très créatif. En vrac : un village de carte
postale ; un adolescent adepte de jeux vidéos et mauvais en maths ;
une ex-James Bond girl (Gemma
Arterton, plus avatar de Laetitia Casta que d’Emma Bovary) pour incarner la sensualité
ultime ; une scène où la Galatée british apprend
à pétrir la pâte à pain sous l’œil gaulois de son Pygmalion ; une autre où elle
lui ordonne « Sucez-moi », pour
guérir une piqûre d’abeille (cf photo) ;
des Londoniens fortunés, smarts et
ultra-libéraux (« Ben oui, j’adore
le fromage français, les vins français, c’est mal ? ») ; une Française
qui épouse leur arrogance (Elsa Zylberstein,
parfaite en snob ridicule).
« Ça a l’air vachement marrant », dit Gemma, quand Martin lui prête
le roman. Le film aurait pu l’être… s’il avait été signé Woody Allen.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire