Akim et son frère Youssef suivent
scrupuleusement les obligations de prières quotidiennes et écoutent les prêches
de leur oncle Rachid, l’imam du quartier. Ils vivent encore chez leurs parents.
Ces derniers, qui pratiquent un islam modéré, laissent leurs fils subir les
pressions morales de Rachid. Ainsi lorsque ce dernier leur rend visite, c’est
avec une enveloppe de billets destinés à payer le haj - le pèlerinage à la Mecque – d’Akim, en qui il voit un futur
imam. Un jour Akim apprend qu’une femme du voisinage a été assassinée par un
jeune musulman ; la victime vivait avec son frère, un curé qui a choisi de
demeurer dans sa paroisse, espérant ainsi aider les parents du meurtrier à
vivre. Intrigué, Akim souhaite rencontrer ce prêtre. Malgré l’opposition
virulente de Youssef, il s’arrange pour se faire inviter à un baptême. Pendant
la célébration, Akim est touché au cœur. Le film est ensuite le récit de sa
conversion au christianisme, avec de violentes confrontations familiales et
sociales, et quelques questionnements : « - Pourquoi la charité ça
pourrait pas être envers un chrétien ? demande-t-il par exemple à l’imam.
Un pauvre, ça reste un pauvre ! - La zakât,
c’est que pour tes frères musulmans. Tu peux faire la différence ? A moins
que tu veuilles convertir à l’islam ton ami : là, c’est autre
chose. »
L’apostat sort de sa communauté
religieuse, l’apôtre est envoyé par la sienne. Si l’on s’en tient au
récit, l’Apostat aurait été un titre plus adéquat que L’Apôtre, mais il
n’aurait pas correspondu au point de vue de Cheyenne Carron : pour la
réalisatrice, baptisée cette année, chaque membre de l’Eglise est appelé à
vivre une mission apostolique. Carron ne manque pas de courage : elle
tourne ses films avec des bouts de ficelle, sans bénéficier des sources de
financements habituelles ; et pour son cinquième film, elle aborde un
sujet ô combien « politiquement incorrect » en France, et
particulièrement polémique en ce moment. Son film, réaliste, évite beaucoup
d’écueils, en particulier les clichés sociologiques : l’attention se
focalise sur les personnages, les plans larges sont rares, et les décors peu
présents ; le propos est souvent incarné de manière convaincante par les
acteurs (pas toujours bien dirigés). En définitive, L’Apôtre est une bonne
surprise[1].
Le fait que la réalisatrice ait été la seule catholique pratiquante de son
équipe y est peut-être pour quelque chose. « Avec
mes comédiens, j’avais un dialogue parfois franc en leur disant que certaines
sourates du Coran me dérangent, car ce sont des appels au meurtre des non-musulmans.
Il faut oser le dire. »
En termes d’économie de moyens,
Paradis bat encore L’Apôtre. Trois ans après Pater - son duo avec Vincent
Lindon -, Alain Cavalier renoue avec une forme qu’il affectionne, celle du
journal intime filmé. A 83 ans, il fait preuve d’une formidable liberté
créatrice et livre un film-testament d’une beauté limpide, une pépite (1h10) de
sophistication et de simplicité. Cavalier fait partie de ces réalisateurs
poètes qui ont la capacité de transfigurer tout ce qui se présente devant leur
caméra ; en l’occurrence, sa maison, son jardin, un bosquet, un jouet, une
papaye, des jeunes gens, un chat… Et si la silhouette de ce dernier figure sur
l’affiche du film, si la comptine « Trois petits
chats » (« …marabout, bout de ficelle… ») est chantée par une
fillette, c’est peut-être parce que Cavalier est un réalisateur-chat : sereine
indépendance, démarche élégante, ouïe fine (excellente bande-son) ; le filmeur[2]
nyctalope (étonnantes natures mortes crépusculaires) aime jouer avec l’infime,
ses mouvement de caméra sont souples, son montage est d’un rythme sûr.
Le film commence par les premiers
pas d’un paon sous l’aile protectrice de sa mère. Puis l’oisillon est retrouvé
mort. La sépulture est marquée d’une pierre scellée sur une souche par trois
clous repliés que Cavalier reviendra dorer au pinceau à différentes saisons. La
mort est l’horizon de Paradis, méditation facétieuse convoquant les topos mythiques
et bibliques qui ont façonné le paysage mental du réalisateur. Ainsi
assiste-t-on par exemple à un ping-pong d’expressions bibliques entre une jeune
fille et le réalisateur. Ailleurs, diverses figures-figurines s’expriment à la
première personne : Adam, Charon sur sa barque-pastèque, Abraham et Isaac,
Ulysse-robot en plastique rouge et Athéna-chouette en bois, Dieu- sculpture
étrange, Jésus-sphère…
Si la foi de Carron semble d’un
bloc, celle de Cavalier est plus évasive. Sur un plan d’hostie posée au centre
d’une fleur, il raconte : « A
l’âge de sept ans, un prêtre a déposé ce petit morceau de pain sur ma langue.
Je l’ai avalé. C’était son corps à Lui. Et j’ai été à l’intérieur une
lumière ! Je n’avais plus de… de poids, je n’avais plus de volume !
Et cette émotion suprême et si belle ne s’est pas reproduite à la communion
suivante.» Plus loin, il confie :
« Aujourd’hui, je crois que je peux comprendre Jésus lorsqu’il dit :
« Je suis la Vie. Je Suis la Vie ». Dans la dernière image (cf photo), sa
silhouette, entourée des petits riens signifiants de son Paradis, semble
attendre tranquillement la mort. Derrière l’ultime commentaire - « Tout est bien » - résonne alors
le « Tout est grâce » cher
à Sainte Thérèse de Lisieux qui, en 1986, lui avait inspiré son magnifique Thérèse.
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