Anna, orpheline élevée dans un
couvent en Pologne, est sur le point de prononcer ses vœux définitifs quand la
supérieure lui enjoint de rendre au préalable visite à sa tante. La jeune
novice se rend donc en ville chez cette Wanda qu’elle ne connaît pas, la seule
famille qui lui reste. Elle apprend que Wanda a été une procureure redoutée
dans la Pologne communiste des années 50. Mais en cet hiver rude et gris de
1962, c’est une femme mûre, célibataire et dépressive, qui se réchauffe avec
des rasades de vodka et dans les bras d’inconnus. Auprès d’elle, Anna découvre
une part de son identité (notamment son vrai prénom, Ida) et du destin tragique
de sa famille, assassinée pendant l’occupation allemande. Les deux femmes
partent sur les traces de ce passé douloureux, dans un village isolé, à la
lisière d’une funeste forêt. Sur le chemin, Wanda tente de dissuader Ida de
s’engager dans la vie consacrée. Elle prend en stop un beau saxophoniste. « Tu ne sais pas l'effet que tu produis », dira
le jeune homme amoureux à la pieuse
Ida (Agata Trzebuchowska), dont le beau minois irradie une pureté mystérieuse.
Pawel Pawlikowski, longtemps
émigré à Oxford et Paris, n'avait jamais tourné dans son pays d'origine. Son
film m’a fait penser à son compatriote et confrère Roman Polanski : le
format 4/3 et l’incroyable qualité lumineuse du noir et blanc rappellent les
premiers longs métrages (en 1962 d’ailleurs) de Polanski ; et ce dernier,
pendant la guerre, s’était réfugié à la campagne, chez des fermiers, après
s’être échappé du ghetto juif de Varsovie.
Ida traite d’un choix aujourd’hui
peu compris, celui de la vie consacrée. Pawlikowski représente un quotidien
conventuel très austère. Or au cours de son parcours initiatique, Ida va goûter
à la vie dans le monde. Mais elle en
perçoit vite les limites, comparé à ce qui lui est promis et qu’elle a
certainement entraperçu. Ainsi lorsque le musicien lui propose de partir avec
lui, Ida sourit : « Et après ? - Après, on achètera un chien et une
maison ! Et on aura des enfants. -
Et après ? - Après, on aura des problèmes,
comme tout le monde ! ».
Le choix radical de la vie
consacrée et l’incompréhension qu’il suscite souvent de nos jours m’évoquent
une des cartes du Tarot de Marseille, elle aussi apparemment
déconcertante : un homme pendu par un pied, les mains dans le dos. Cet
arcane est une invitation à réorienter notre volonté, à en faire un organe du
ciel. Comme les grands mystiques, le Pendu vit sous l’emprise de la gravitation
spirituelle. C’est cette attraction qu’a voulu peut-être exprimer Pawlikowski
en positionnant souvent Ida en bas du cadre, avec beaucoup d’air au-dessus de
sa tête.
Ron Woodroof (Matthew
McConaughey), baiseur invétéré, alcoolique et cocaïnomane, traîne sa
silhouette étique entre son boulot d’électricien, sa passion pour le rodéo et son
activité illicite de bookmaker. Un jour, il s’effondre. Il se réveille à
l’hôpital, où les médecins lui donnent 30 jours à vivre. On est en 1985, Ron a
le SIDA.
Inspirée de faits réels, l’histoire
de The Dallas Buyers Club, est celle d’un homme ordinaire qui devient un « résistant
extraordinaire ». Son combat s’exerce tous azimuts.
Contre un système pourri :
le lobbying des industries pharmaceutiques auprès de la Food and Drug
Administration (FDA) empêche l’agrément de produits plus efficaces que le très
cher AZT ; en contournant puis en violant la réglementation, Ron va devoir aussi
affronter les douanes, les Stups, le FBI…
Combat intellectuel :
refusant de se soumettre aux autorités médicales, le Texan fait des recherches,
use ses santiags dans les
bibliothèques et découvre l’existence de protocoles de soins alternatifs à
l’étranger.
Combat contre lui-même : Ron
renonce de manière radicale à la drogue, à l’alcool, aux partouzes, à la
malbouffe… et à ses préjugés homophobes ; le redneck s’associe avec un travelo-toxico-sidaïque, Rayon (Jared
Leto), et fonde un club proposant à ses membres séropositifs des médicaments
importés non autorisés.
Loin d’être déprimant, The Dallas
Buyers Club est roboratif. La réalisation du Canadien Jean-Marc Vallée évite le
pathos ; ses ellipses confèrent pudeur et efficacité au récit. Ron ne
s’apitoie jamais sur son sort. Il se révèle plein d’humour et astucieux. L’ex-homophobe
et amateur de sexe monnayé s’ouvre aux autres : il noue une belle amitié
avec son associé travesti et se rapproche délicatement de son médecin
(Jennifer Garner, seul personnage un peu raté). Ainsi ses 7 années arrachées à
la fatalité ambiante sont un parcours au-delà de la survie : par son
engagement au service d’une cause qui le dépasse, Ron a donné du sens à sa vie
et l’a vécue pleinement.
J’ai été touché par deux scènes
de prières : celle où Ron (dans un club de strip-tease !) demande un
petit signe au Bon Dieu… et est exaucé ; celle où Rayon adresse au Ciel un cri
de désespoir.
Les prestations de Matthew McConaughey[1]
(-22 kg pour le rôle) et de Jared Leto (-15 kg) leur ont valu un Golden Globe
chacun, et le film compte 6 nominations pour les Oscars. Tourné en 25 jours, il
est l’aboutissement d’une détermination elle-aussi inébranlable : rejeté
87 fois par les studios hollywoodiens, son scénario a mis une vingtaine
d’années à trouver des financements !
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