Yves Saint Laurent est une biographie
servie par deux pensionnaires de la Comédie Française : Pierre Niney (LOL),
qui interprète avec beaucoup de sensibilité le rôle-titre, et Guillaume
Gallienne (Les Garçons et Guillaume, à table), qui incarne son associé et amant,
Pierre Bergé.
Le film commence à Oran au début
des années 50 : on y voit le jeune homme dessiner sagement des vêtements dans
sa chambre. Puis il « monte » à Paris, et en 1955 devient l’assistant
de Christian Dior. A la mort de ce dernier deux ans plus tard, le jeune surdoué
de 21 ans devient directeur artistique de la maison. En 1962, après s’être fait
congédié, il crée sa propre maison de couture, grâce aux talents d’homme
d’affaires de son Pygmalion, Pierre Bergé. Dès le milieu des années 60 (avec
une collection inspirée de Mondrian), le créateur connaît la gloire en même
temps qu’il commence à sombrer dans l’alcool et la drogue. Le récit s’arrête en
1976 sur ce qui est peut-être l’apogée de sa carrière : le défilé de la
collection Opéra-Ballet russes.
Le fait que cette biographie soit
autorisée, soutenue (accès aux vêtements originaux et aux décors réels) et racontée
par Pierre Bergé (via la voix-off de Gallienne) explique peut-être son parfum
nostalgique, renforcé par le choix de clore l’écrin 30 ans avant la mort du
grand couturier. « Création et marketing
ne font pas bon ménage. Cette époque n'est plus la nôtre », a déclaré Bergé
en 2002 lorsque les deux compagnons ont tiré leur révérence.
Je ne connaissais rien à la haute
couture, et j’étais curieux de découvrir ce milieu de l’intérieur. Mais je ne
saurais pas mieux identifier aujourd’hui le style d’YSL : les collections qui
ont assuré sa renommée coïncidaient apparemment à l’air du temps. J’aurais aussi
aimé savoir ce que Bergé, amateur d’art(istes), faisait avant sa rencontre avec
YSL : on comprend que c’était un homme d’affaires, mais quelles
affaires ? Les deux comédiens participent malgré eux à l’édulcoration de
la réalité : la bonne bouille de Gallienne ne reflète pas la dureté de son modèle,
et Niney n’est sûrement pas aussi fêlé qu’YSL (dont la bipolarité est au
demeurant peu manifeste dans le film). La réalisation du comédien Jalil Lespert
est l’équivalent contemporain de ce que Truffaut appelait la « qualité
française » : classique et soignée, point. Finalement cette
hagiographie « paris-matchesque » axée sur un célèbre couple gay et
leurs infidélités m’a donné envie d’aller voir la version de Betrand Bonello,
avec Jérémie Rénier, qui sortira en octobre.
Enchaînant quatre histoires de
passages à l'acte sans réel lien dramatique entre elles, A Touch of Sin de Jia
Zhangke compose un quadriptyque de la Chine actuelle inspiré par les tufa shijian (« incidents
soudains »), terme qui désigne ces phénomènes sociaux où des individus,
poussés à bout par l'exploitation capitaliste sauvage, basculent dans la
violence extrême.
Dahai, écœuré par la corruption
des dirigeants de son village et de l’entreprise minière locale, profère des
menaces jusqu’à ce qu’il se fasse tabasser à coups de pelle par des sbires mafieux.
A la sortie de l’hôpital, il se fait justice lui-même.
San’er, un jeune père loin de son
foyer, flingue les passants qui veulent le dépouiller ou ceux qu’il choisit
arbitrairement de détrousser.
Xiaoyu, hôtesse d’accueil dans un
sauna, poignarde un client qui exige une passe à coups de liasses de billets
dans la figure.
Xiaohui, jeune ouvrier d’une
usine textile, quitte son travail à la chaîne et tente une reconversion, mais
se fracasse contre la sordide réalité.
J’avoue ne pas comprendre la
critique française qui crie unanimement au chef d’œuvre : « le plus grand cinéaste de
l'imminente première nation du monde » (Le Monde) ; « le plus haut degré de modernité dans
le cinéma » (Les Inrockuptibles)… A Touch of Sin est un film à thèse,
un film conceptuel. Le concept, alpha et oméga de l’art contemporain, serait-il
en train de contaminer le cinéma ?
Comme la réalité qu’il met en
scène sur plus de deux heures, le film est sec et d’un ennui étouffant. Aucune
relation affective entre les personnages. Tout tourne autour de l’argent et se
résout par la violence. L’environnement est délétère, les cheminées d’usine
omniprésentes, le soleil invisible derrière un voile blanc permanent. Dans des
bicoques moyenâgeuses nichées au pied de grands ensembles, de pauvres femmes
sans âge effeuillent des laitues flétries. Même les voix sont déprimantes, que
ce soit celles, nasillardes et stridentes, des acteurs de théâtre traditionnel,
ou celles, geignardes, des personnages qui parlent, paraît-il, dans différents
dialectes.
A Touch of Sin, c’est l’enfer d’un
regard amoral sur une humanité épuisée, enfermée dans un monde laid, prosaïque
et cynique, absurde et froid.
Le dernier volet est inspiré des
faits-divers concernant le sous-traitant taïwanais d'Apple, Sony ou Nokia :
Foxconn, qui offre à ses 1,2 millions d’employés parmi les pires
conditions de travail au monde, a installé des filets dans ses immeubles-dortoirs
pour prévenir les suicides !
Le film a beau présenter un
intérêt documentaire, cela ne suffit pas à combler son indigence fictionnelle. Comment
expliquer qu’il ait eu le Prix du scénario à Cannes ? En vérité, pour
différentes raisons, Touch of Sin constitue une aubaine pour la critique[1].
[1]
Qui, paresseuse,
trouve toutes sortes d’intérêts hors du
film en expliquant par exemple que les épisodes ont pour cadre quatre provinces
de la Chine. Qui, prétentieuse, peut faire étalage de sa culture en trouvant
des références de films de genre (thriller, kung-fu…) dans ce film
inclassable. Qui, frustrée, se délecte à trouver des éléments énigmatiques lui
permettant de filer la métaphore (des animaux sensés représenter l’état mental
des personnages). Qui, hypocrite, est trop heureuse de tenir tribune dans des revues
célèbres à propos d’un film non diffusé dans son pays et interdit de mention
dans les médias. Qui, arriviste, loue l’artiste rebelle surtout s’il est EN
VUE : « ces jours-ci, Jia
Zhangke fait l'acteur dans des pubs télé pour Johnny Walker, tandis que Zhao
Tao, sa femme et son actrice fétiche, joue l'égérie pour Cartier. Son compte
Sina Weibo, le Twitter chinois, affiche plus de dix millions
de followers ; il est entré dans le club des « big V» – les « gros
VIP » des réseaux sociaux, ceux qui ont une influence considérable sur
l'opinion et qui sont de plus en plus surveillés. ». Qui, calculatrice,
se pare à bon compte d’accents prophétiques : le génie du cinéma ne peut
venir que de la plus grande puissance future.
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