Emprunté au vocabulaire
militaire, le mot blockbuster (casseur de quartier), caractérise les
films calibrés pour la masse et mettant en scène des destructions de masses. Noé
est le dernier rejeton d’une lignée de blockbusters
aux branches multiples. Sorte de Titanic inversé, où l’humanité engloutie
entraîne le monde sous le poids de ses péchés, le film de Darren Aronofsky appartient
à la famille des films catastrophe. C’est un cousin des films apocalyptiques comme
Independence Day ou Le Jour d’après, mais son créateur, contrairement à Roland
Emmerich[1],
vient du film d’auteur[2].
En renouant par ailleurs avec la veine ancestrale des péplums bibliques, Noé ne
fait que s’inscrire dans la mouvance actuelle des blockbusters fondés sur la
prédation d’une histoire préexistante célèbre : en l’occurrence, un
épisode du récit biblique des origines, commun aux trois monothéismes. Le film
commence cependant par cette phrase « Au
commencement, il n’y avait rien », détournement révélateur des premiers
mots de la Genèse[3] par son
réalisateur athée. Car en fait Noé appartient surtout au genre heroic fantasy : on y retrouve la
violence, le souffle épique et les univers de synthèse de la saga du Seigneur
des anneaux ou de la série Game of Thrones ; d’où le choix de l’imposant Russel
Crowe (15 ans après Gladiator) pour incarner Noé.
Le scénario s’inspire du récit
biblique… et s’en écarte allègrement. Pour avoir ses personnages types, il
convoque Mathusalem en magicien/mentor (Anthony Hopkins) et Tubal-Caïn (descendant du premier
fratricide) en ennemi principal. Pour développer une intrigue conflictuelle au
sein de la famille survivante, les démiurges hollywoodiens ont décrété que les
trois fils de Noé n’embarqueront qu’avec une seule jeune femme (Emma Watson,
toujours inapte à transmettre une émotion), stérile qui plus est. Alors que dans
le récit biblique, la communication entre Dieu et Noé est directe et les messages
divins très clairs, le héros se fourvoie ici dans des interprétations de la
volonté divine qui génèrent des conflits avec sa famille, notamment sa femme
(Jennifer Connelly devenue trop lisse pour ce rôle). L’action de Noé est aussi moins
décisive dans le film : pour construire l’arche, il se fait aider par les
géants (des anges déchus) ; et les animaux arrivent ensuite d’eux-mêmes,
par paires.
Autre changement révélateur :
l’adresse finale de Dieu aux élus survivants - « Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre » - est
mise dans la bouche du patriarche à l’attention de ses enfants. Enfin et
surtout, le message de l’alliance divine n’est pas explicité, alors que c’était
l’apport singulier d’Israël aux récits mésopotamiens du déluge[4].
Finalement le film d’Aronofsky est une fable écologiste où le descendant d’Adam
a pour mission de garder respectueusement la Création.
Si l’on n’est pas rebuté par
cette lecture[5], par les
chromos de certaines séquences, par des dialogues parfois un peu plats, Noé est
un casseur de quartier vraiment
divertissant. Et après tout, cet obus filmique tombe à pic pour nous rappeler la
prière de bénédiction de l’eau, entendue récemment lors de la veillée pascale,
à l’issue de la période de carême (40 jours, comme le déluge) : « Par les flots du déluge, Tu annonçais
le baptême qui fait renaître, puisque l’eau y préfigurait à la fois la fin de
tout péché et le début de toute justice ».
Après le film biblique allégé,
l’actualité cinématographique nous offre un autre film Canada Dry : Apprenti
Gigolo, de John Turturro. Ça ressemble à un Woody Allen, c’est avec Woody Allen, c’est (presque) aussi drôle
qu’un Woody Allen.… mais ce n’est pas un Woody Allen.
A Brooklyn, deux amis, le juif Schwartz
(Woody Allen), libraire forcé de fermer boutique, et l’Italien Fioravante (John Turturro,
subtil), fleuriste à mi-temps, ont du mal à assurer leurs fins de mois. A la
suite d'une conversation avec sa dermatologue en quête de nouvelles sensations (Sharon
Stone, accorte cougar), Schwartz convainc le timide et
solitaire Fioravante de devenir, sous sa houlette, un escort boy. Quelques scrupules plus tard - habilement
évaporés par le vieux mac amateur avec «de
la vodka qui ne reste pas sur l’haleine» - et hop, les voilà embarqués, sous
les noms de Bango (to bang = baiser) et Virgil, dans une association
fructueuse. Virgil se révèle en effet un amant très apprécié… pour ses qualités
d’écoute, sa réserve : «Hard to reach: that makes you so good»,
dit la dermato qui a du mal à le partager avec sa copine dévoreuse (Sofia
Vergara, bomba latina). Lorsque Bango
rencontre Avigal (Vanessa Paradis, lumineuse), une veuve hassidique,
jamais touchée par son rabbin de mari après 18 ans de vie commune et six
enfants, il va évidemment vouloir la confier aux bons soins de Virgil. Et la
comédie de doucement dériver vers la comédie romantique, conformément au titre
original - Fading Gigolo (qui s’étiole) - et à la patte de Turturro, dont le
premier film réalisé il y a 22 ans était… Mac !
[1] Dont le premier film est Le Principe de l’Arche de Noé.
[2] Pi, The Wrestler, Black
Swan.
[3] «Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre».
[4]
Dont les plus connus sont
représentés par la neuvième tablette de l’épopée de Gilgamesh et par celle du
mythe d’Atrahasis.
[5] Le Qatar, Bahreïn, les
Emirats Arabes Unis et l’Indonésie interdisent le film qui «représente un prophète».


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