Alabama Monroe, le quatrième film
du cinéaste flamand Félix Van Groeningen, a eu un grand succès en Belgique. Didier,
qui vit seul dans une caravane devant une ferme délabrée, joue du banjo et chante
dans un groupe de bluegrass (une branche de la musique country fondée par un
certain Bill Monroe). Il rencontre Elise, sémillante tatoueuse dont le corps
enluminé est la meilleure carte de visite. Bientôt, le beau couple forme un duo
harmonieux sur scène. Elise tombe enceinte, Didier retape sa ferme avec ses
potes musicos, et s’ensuivent six
années de bonheur… jusqu’à ce qu’ils apprennent que leur fille Maybelle est
atteinte d’un cancer. Le ver introduit dans la sphère intime va entraîner sa
dépression, comme l’évoque le titre original, The Broken Circle Breakdown.
Le film est l’histoire du combat,
de l’impuissance, puis de la désintégration du couple, selon un récit également
décomposé, adoptant une chronologie éclatée, non linéaire. L’alternance de
moments d’allégresse et de tristesse intensifie le tragique du mélodrame et
l’empêche de sombrer dans le tire-larme. A cet égard, les scènes de concerts sont
de vrais moments de grâce : "La
musique agit comme un contrepoids face à la misère et la douleur que charrie
l’histoire" (Van Groeningen). Le
bluegrass est une musique très rythmée, aux harmonies vocales à trois ou quatre
voix. Et c’est un vrai plaisir de voir les deux comédiens chanter si bien. A
l’heure où l’on fait fantasmer les ados sur l’obscénité du showbiz, il faut les
emmener voir le plaisir simple et communicatif de cette bande sans prétention. Johan
Heldenbergh (une vraie gueule), qui incarne Didier et joue très bien du banjo, était
aussi le co-auteur de la pièce de théâtre à succès dont est tiré le film. Veerle
Baetens (Elise) est charmante et juste. Tous contribuent à rendre le film
sympathique et authentique ; en un mot, belge. Les critiques muscadins qui
le trouvent bêtifiant et misérabiliste sont ceux qui encensaient il y a deux
ans le film parisien (poseur et flasque) La Guerre Est Déclarée, où Valérie Donzelli
et son ancien compagnon «revivaient» la maladie de leur fils sur fond
d’électro/pop.
Alabama Monroe est un hymne à
l’amour, musical, passionnel et filial.
Didier, athée raisonneur, doit
apprendre à composer avec la sensibilité de sa fille Maybelle lorsqu’elle
trouve un oiseau mort sur leur terrasse. Pour la petite déjà dégarnie, l’oiseau
est devenu une étoile, et comme le lui a expliqué son père lui-même, la lumière
des étoiles survit à leur disparition. Mais l’athéisme de Didier
l’éloignera-t-il de sa femme ? La cassure sera-t-elle fatale à leur
couple ?
Présenté en compétition officielle
à Cannes, Michael Kohlhaas est l’histoire d’un prospère marchand de chevaux du
XVIè siècle, protestant pieux, qui vit, heureux, avec sa femme et sa fille,
dans sa propriété isolée des Cévennes. Alors qu’il se rend en ville pour vendre
ses bêtes, il se heurte à un baronnet local qui lui extorque un droit de
passage sur ses terres. Ses magnifiques chevaux laissés en gage sont retrouvés plus
tard en piteux état, et sur son fidèle valet, les sbires du baron lâchent leurs
molosses. Kohlhaas tente alors d’obtenir justice, mais le tribunal, corrompu, déboute
plusieurs fois sa plainte. Lorsque sa femme est assassinée, il lève une armée de
paysans et de gueux, et poursuit le baron en défiant le pouvoir. Pour le convaincre
de déposer les armes, la princesse mande alors un théologien protestant, dont
Kohlhaas a lu la traduction de la Bible : « Dieu a été très largement oublié dans toute cette histoire. Si
tous faisaient comme toi, il n’y aurait plus ni ordre, ni justice. Toi-même,
qu’est-ce que tu ferais si dans ta propre troupe, chacun voulait être
indépendant ? Tu dis que tu pleures la perte de ta femme, que tu es
inconsolable… Tu ne sais pas qu’il y a des moyens de vaincre la mort ? »
La réussite de cette scène doit beaucoup
à Denis Lavant, qui habite son personnage de théologien ; Luther, dans le
roman allemand du début du XIXè siècle de Heinrich von Kleist (l’auteur de la
Marquise d’O[1]).
Mais dans son adaptation, Arnaud des Pallières a déplacé l’intrigue dans les
Cévennes, bastion historique du protestantisme français.
Dans le choix de ses ingrédients,
des Pallières témoigne d’un goût sûr : le sujet -la réparation d’une
injustice, dans ses dimensions morales et spirituelles- ; l’acteur
principal, Madds Mikkelsen[2] ;
la rareté des dialogues ; les images superbement composées de cavaliers,
sous des ciels mouvants, dans des steppes vertes tavelées de roches
calcaires ; les combats rapprochés aux arbalètes…
Mais la sauce ne prend pas. C’est
justement dans le parti-pris de l’épure que le bât blesse. Le dépouillement
n’est pas radical : mise en scène entachée de coquetteries (mèches de
cheveux sur le visage du beau Mikkelsen) ; dialogues qui font retomber du hiératisme
empesé au banal ; excès de musique («d’époque») et de personnages. Et en
faisant l’économie d’éléments dramaturgiques (comment Kohlhaas a-t-il soulevé
les paysans ?), le film perd en souffle et ses personnages en épaisseur.
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