Abe est un adolescent attardé qui, à 35 ans, vit chez
ses parents et pantoufle dans l’agence immobilière de son père. C’est ce
dernier qui l’a affublé du surnom de Dark Horse, métaphore hippique
signifiant outsider. Mais le gros Abe n’a jamais eu envie de courir
après quoi que ce soit, à part les figurines qu’il collectionne. Englué dans
les projections parentales le concernant, Abe se contente de les rejeter
confusément, tout en jalousant la réussite de son frère cadet Richard. En
réalité, le film de Todd Solondz est l’histoire pathétique d’un mouton noir
plus que d’un étalon noir, d’un rebut plus que d’un outsider du rêve américain.
Le film commence sur sa rencontre avec Miranda, une
jeune paumée, lors d’une soirée de mariage. Un long travelling sur des invités
dansant de manière outrageusement inspirée se termine sur la table autour de
laquelle ne restent que les deux losers.
Assis côte à côte, ils ne se sont apparemment pas encore adressé la parole.
Miranda (Selma Blair) a l’air triste et ailleurs : elle est en mode
« basse consommation », abrutie par les antidépresseurs. C’est Abe
qui tente l’approche. Car ce personnage de loser
obèse est bien incarné (par Jordan Gelber), plein d’énergie, et roule en
Hummer ! Ce n’est pas un « gros mou ». Dans cette comédie
caustique qui joue beaucoup sur les clichés, l’anti-héros est ainsi le seul
personnage qui les déborde.
Ses parents, eux, sont beaucoup plus stéréotypés. Mais
contrairement à Abe quand il rentre « chez lui » le soir, nous les
retrouvons avec grand plaisir, sur leur sofa, devant la télé : car la mère
poule n’est autre que Mia Farrow (fraîche comme une rose) et le père, en
training et charentaises, Christopher Walken (fatigué). Les deux illustres
comédiens (grâce auxquels cette production indépendante a probablement vu le
jour) nous offrent une scène hilarante lorsqu’ils accueillent chez eux pour la
première fois Miranda et ses parents : on a droit à l’échange coutumier de
banalités sur la route empruntée par les invités, mais étiré sur deux bonnes
minutes !
Personnellement, l’humour noir et mordant de Solondz
me fait bien rire. Abe écoute des chansons ultra-nunuches glorifiant la
« positive attitude » américaine Et lorsqu’au deuxième rendez-vous
avec Miranda, il la demande en mariage, la fille suicidaire accueille cette
proposition incongrue avec résignation, comme si elle attendait au fond une
perspective aussi peu exaltante : « Je devrais renoncer à l’amour,
l’ambition, le sexe et les attentes. Je devrais juste me marier et avoir des
enfants.»
Les comédies de Solondz radiographient les travers de
la middle class américaine de manière souvent dérangeante. La plus réussie à ce
jour reste Happiness (1998). Dark Horse, elle, s’étiole
progressivement. On a l’impression que le réalisateur s’est embarqué dans le
projet sans en connaître la fin… qui s’avère décevante... ce qui ne fait
qu’ajouter à l’impression un peu déprimante que l’on garde du film.
Namir Abdel Messeeh n’avait quant à lui clairement
aucune idée de la fin de son film quand il est parti tourner en Egypte, son
pays d’origine. Il n’avait d’ailleurs pas d’idée sur grand-chose, comme il le
laisse entendre lui-même au début de ce film foutraque. Parti pour être un
documentaire sur les apparitions de la Vierge en Egypte, La Vierge, les
coptes et moi se transforme en cours de route en journal intime : à
travers une mise en abyme où le réalisateur trentenaire se met en scène, ce
premier long-métrage raconte avec légèreté et humour son tournage fauché et
bancal.
Issu d’une famille copte, Abdel Messeeh commence par
se rendre au Caire à la recherche de témoignages et de documents sur les
apparitions de la Vierge à Zeitoun en 1968.
« Je n’y allais pas pour dénoncer ou démontrer quelque chose, mais
pour essayer de comprendre un phénomène », explique-t-il dans un entretien radiophonique. Or, lui-même étant à la fois sceptique et candide dans son
approche (pour ne pas dire nonchalant), son enquête se heurte vite à toutes
sortes de barrages et de réticences. « En fait, ce qui est sensible, ce
n’est pas tellement d’enquêter sur les apparitions de la Vierge, mais c’est
d’en douter. Mettre en doute le moindre des dogmes des coptes, c’est pour la
minorité remettre en cause l’existence de la communauté. »
Déconfit, passant outre les directives agacées de son
producteur parisien et les doutes désopilants de sa mère quant à ses talents de
cinéaste, Namir se rend à Assiout, haut lieu de pèlerinage marial, situé
non loin du village maternel. Il y retrouve sa famille, qu’il n'a pas vue
depuis une quinzaine d'années, et décide de reconstituer une apparition de la
Vierge avec les villageois comme acteurs.
Adviennent alors de beaux moments de grâce, le film
bénéficiant de la chaleur de sympathiques fellahs,
de l’humour cocasse typiquement égyptien et d’une dose bienvenue d’autodérision
du réalisateur parisien, qui débarque avec son projet farfelu dans l’âpre
quotidien des paysans.
La Vierge, les coptes et moi témoigne de la tendresse ressentie par Namir pour ces
gens dont, n’était l’exil de sa mère, il aurait pu partager le
sort. La scène finale, où les villageois assistent à la projection du
« miracle » qu’ils ont mis en scène, est une belle démonstration du
cinéma comme art de l’épiphanie. Et l’on sort du film avec le sourire des
Egyptiens...
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