Les films de Leo Carax suscitent
en France des réactions soit très hostiles, soit hystériquement dithyrambiques.
Treize ans après Pola X, son
dernier long-métrage, le cinéaste français maudit des années 80 nous offre dans
Holy Motors le meilleur de lui-même. « Je
continue comme j’avais commencé : pour la beauté du geste », dit son
alter ego dans le film (Denis Lavant, son acteur fétiche). Et c’est
effectivement ce qu’il y a de plus fascinant dans ce film (et de plus rare dans
le cinéma français actuel) : la beauté du geste cinématographique.
Le film déroule la journée
programmée de Monsieur Oscar (Denis Lavant), conduit dans une limousine, à
Paris, de « rendez-vous » en « rendez-vous », qui vont s’avérer
autant de scènes sans caméras, sans équipe ; et la limousine de se
transformer en loge où M. Oscar se métamorphose en toutes sortes de
personnages.
Holy Motors est probablement un
parcours dans la cinéphilie de Carax.
Mais c’est surtout une succession
de courtes (et souvent percutantes) incursions dans des univers singuliers,
issus de l’imaginaire du réalisateur. On peut ne pas apprécier leur tonalité ténébreuse,
leur côté punk. Mais à chaque sketche, le cinéaste nous emmène dans un « ailleurs »,
nous étonne, et nous « ravit » lorsqu’il utilise au mieux sa caméra,
qu’il concocte des sons inouïs, et fait bouger Denis Lavant… Pour le
spectateur, il y a une jubilation enfantine qui fonctionne sur la
répétition (« Où va-t-il m’emmener cette fois ?»). Pour préserver
le plaisir de la découverte, je me contenterais d’évoquer une séquence de motion capture (le procédé d’animation
de personnage virtuel, basé sur la capture de mouvements d’un acteur) : où
l’on voit comment le cinéma peut ravir
vers un ailleurs étrange, comme le font certains spectacles de danse
contemporaine…
Les transitions - un rêve, un entracte,
les moments où l’on ressort de ces « rendez-vous »- sont également
l’occasion de scènes réussies.
Évidemment, Holy Motors garde les
composantes habituelles des films de Carax, qui peuvent irriter ; à la
fois auto-portrait intime (nombriliste ?), et réflexions sur sa création.
A l’heure de la profusion des
images produites par des caméras de plus en plus petites, Carax interroge la
disparition de la mécanique créatrice du cinéma. La limousine est un
corbillard qui nous emmène jusqu’à la dernière phrase du film : « Et on n’avait plus de moteur, plus
d’action. Amen. »
Mais le plus réjouissant, c’est
que le film est une réponse créative au devenir du cinéma, une démonstration de
ses possibilités : c’est plein de trouvailles… et non dénué d’humour (rare
chez Carax).
Et le côté abstrait, avec des personnages-effigies,
des pantins un peu fantomatiques, est ici, parfaitement approprié à ce film-geste
qu’est Holy Motors…
Parfois cependant, -comme le dit
Michel Piccoli dans le film - « on
n’y croit pas » : le jeu d’Edith Scob (la fille aux Yeux sans visage du film de Franju, en 1960), la scène avec Kylie
Minogue (star pop australienne)…
Woody Allen est un autre cinéaste
cinéphile, ayant fait de son égocentrisme et de ses angoisses de créateur le moto de ses œuvres ; mais sur un
mode qui lui vaut, en France, un capital de sympathie inversement proportionnel
à celui de Carax.
Comme Holy Motors, To
Rome with love est une exception dans la filmographie de son auteur, mais
pour des raisons totalement inverses : c’est probablement un des films les
moins réussis d’un réalisateur génial. Sur les quinze dernières années, Woody a
pondu un film par an !
Après Londres, Barcelone et
Paris, il nous convie cette fois à Rome, et nous offre un « film-spaghettata »
(variante pour touristes du film choral), qui sent un peu le réchauffé, et où
différentes histoires s’entremêlent mollement : une romance entre de jeunes
américains ; une comédie burlesque où un « Signor
Coglione Qualunque » (c’est ainsi que le personnage joué par Roberto Benigni
se définit) devient brusquement célèbre, sans aucune raison (« Vous êtes célèbre parce que vous
êtes célèbre ») ; la rencontre entre un metteur en scène d’opéras à la
retraite (Woody Allen, évidemment) et un entrepreneur romain de pompes funèbres
qui - sous la douche, uniquement - devient une espèce de ténor à la Andréa Bocelli…
On retrouve des idées de cinéma qui
ont marqué certains chefs d’œuvre du réalisateur, comme le personnage
« Génie » qui cornaque le héros. Ici, un célèbre architecte, usé par
ses choix de vie (Alec Baldwin, très bon casting), accompagne les errements
amoureux d’un jeune étudiant en architecture (Jesse Eisenberg, The
Social Network). « If something
is too good to be true, you can bet it’s not », lui dit-il.
Certaines scènes m’ont fait
éclater de rire, comme l’interview, au journal de 20h, de Pisanello (Benigni)
sur ses préférences culinaires au petit-déjeuner.
L’expérience est globalement agréable :
c’est élégant, fantaisiste, léger.
Mais ça manque de tenue : le
scénario, le rythme, la direction d’acteur (Alessandro Tiberi rame, à vouloir
faire du Allen), la photographie de Darius Khondji… Quant à Woody
comédien ? Issu du stand-up, il sait bien que le comique requiert une
sacrée énergie maîtrisée. Alors pourquoi, à près de 77 ans, jouer sur le même
mode qu’à 30 ? Ses fans ne
peuvent qu’être déçus… un peu comme ceux de Louis de Funès qui découvraient La
Soupe aux choux.
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