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mardi 27 septembre 2016

Août 2012 : "Holy Motors" de Leo Carax / "To Rome with love" de Woody Allen

Les films de Leo Carax suscitent en France des réactions soit très hostiles, soit hystériquement dithyrambiques.
Treize ans après Pola X, son dernier long-métrage, le cinéaste français maudit des années 80 nous offre dans Holy Motors le meilleur de lui-même. « Je continue comme j’avais commencé : pour la beauté du geste », dit son alter ego dans le film (Denis Lavant, son acteur fétiche). Et c’est effectivement ce qu’il y a de plus fascinant dans ce film (et de plus rare dans le cinéma français actuel) : la beauté du geste cinématographique.
Le film déroule la journée programmée de Monsieur Oscar (Denis Lavant), conduit dans une limousine, à Paris, de « rendez-vous » en « rendez-vous », qui vont s’avérer autant de scènes sans caméras, sans équipe ; et la limousine de se transformer en loge où M. Oscar se métamorphose en toutes sortes de personnages.
Holy Motors est probablement un parcours dans la cinéphilie de Carax.
Mais c’est surtout une succession de courtes (et souvent percutantes) incursions dans des univers singuliers, issus de l’imaginaire du réalisateur. On peut ne pas apprécier leur tonalité ténébreuse, leur côté punk. Mais à chaque sketche, le cinéaste nous emmène dans un « ailleurs », nous étonne, et nous « ravit » lorsqu’il utilise au mieux sa caméra, qu’il concocte des sons inouïs, et fait bouger Denis Lavant… Pour le spectateur, il y a une jubilation enfantine qui fonctionne sur la répétition (« Où va-t-il m’emmener cette fois ?»). Pour préserver le plaisir de la découverte, je me contenterais d’évoquer une séquence de motion capture (le procédé d’animation de personnage virtuel, basé sur la capture de mouvements d’un acteur) : où l’on voit comment le cinéma peut ravir vers un ailleurs étrange, comme le font certains spectacles de danse contemporaine…
Les transitions - un rêve, un entracte, les moments où l’on ressort de ces « rendez-vous »- sont également l’occasion de scènes réussies.
Évidemment, Holy Motors garde les composantes habituelles des films de Carax, qui peuvent irriter ; à la fois auto-portrait intime (nombriliste ?), et réflexions sur sa création.
A l’heure de la profusion des images produites par des caméras de plus en plus petites, Carax interroge la disparition de la mécanique créatrice du cinéma. La limousine est un corbillard qui nous emmène jusqu’à la dernière phrase du film : « Et on n’avait plus de moteur, plus d’action. Amen. »
Mais le plus réjouissant, c’est que le film est une réponse créative au devenir du cinéma, une démonstration de ses possibilités : c’est plein de trouvailles… et non dénué d’humour (rare chez Carax).
Et le côté abstrait, avec des personnages-effigies, des pantins un peu fantomatiques, est ici, parfaitement approprié à ce film-geste qu’est Holy Motors…
Parfois cependant, -comme le dit Michel Piccoli dans le film - « on n’y croit pas » : le jeu d’Edith Scob (la fille aux Yeux sans visage du film de Franju, en 1960), la scène avec Kylie Minogue (star pop australienne)…

Woody Allen est un autre cinéaste cinéphile, ayant fait de son égocentrisme et de ses angoisses de créateur le moto de ses œuvres ; mais sur un mode qui lui vaut, en France, un capital de sympathie inversement proportionnel à celui de Carax.
Comme Holy Motors, To Rome with love est une exception dans la filmographie de son auteur, mais pour des raisons totalement inverses : c’est probablement un des films les moins réussis d’un réalisateur génial. Sur les quinze dernières années, Woody a pondu un film par an !
Après Londres, Barcelone et Paris, il nous convie cette fois à Rome, et nous offre un « film-spaghettata » (variante pour touristes du film choral), qui sent un peu le réchauffé, et où différentes histoires s’entremêlent mollement : une romance entre de jeunes américains ; une comédie burlesque où un « Signor Coglione Qualunque » (c’est ainsi que le personnage joué par Roberto Benigni se définit) devient brusquement célèbre, sans aucune raison (« Vous êtes célèbre parce que vous êtes célèbre ») ; la rencontre entre un metteur en scène d’opéras à la retraite (Woody Allen, évidemment) et un entrepreneur romain de pompes funèbres qui - sous la douche, uniquement - devient une espèce de ténor à la Andréa Bocelli…
On retrouve des idées de cinéma qui ont marqué certains chefs d’œuvre du réalisateur, comme le personnage « Génie » qui cornaque le héros. Ici, un célèbre architecte, usé par ses choix de vie (Alec Baldwin, très bon casting), accompagne les errements amoureux d’un jeune étudiant en architecture (Jesse Eisenberg, The Social Network). « If something is too good to be true, you can bet it’s not », lui dit-il.
Certaines scènes m’ont fait éclater de rire, comme l’interview, au journal de 20h, de Pisanello (Benigni) sur ses préférences culinaires au petit-déjeuner.
L’expérience est globalement agréable : c’est élégant, fantaisiste, léger.

Mais ça manque de tenue : le scénario, le rythme, la direction d’acteur (Alessandro Tiberi rame, à vouloir faire du Allen), la photographie de Darius Khondji… Quant à Woody comédien ? Issu du stand-up, il sait bien que le comique requiert une sacrée énergie maîtrisée. Alors pourquoi, à près de 77 ans, jouer sur le même mode qu’à 30 ? Ses fans ne peuvent qu’être déçus… un peu comme ceux de Louis de Funès qui découvraient La Soupe aux choux.

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