Présenté
à Cannes il y a un an en section « Un certain regard », Miss Bala sort finalement sur les
écrans, et c’est une excellente surprise. Alors que chaque jour, quantité de thrillers formatés inondent nos TV, ce
film mexicain témoigne d’une approche véritablement singulière du genre :
ici le « frisson » n’est pas recherché pour le plaisir, ni induit par
une dramaturgie formatée, des personnages sadiques ou des effets grand-guignolesques.
Gerardo Naranjo réussit simplement à nous plonger dans l’enfer de la vie
actuelle au Mexique, un Etat de non-droit, gangrené par les organisations
criminelles. C’est réaliste et diablement efficace.
Pour
y arriver, le réalisateur colle constamment à son héroïne, Laura Guerrero
(Stéphanie Sigman). Laura, jolie fille de 23 ans qui vit à Tijuana dans un
milieu modeste, décide de se présenter avec une amie au concours de Miss Basse-Californie. En suivant
cette amie au Millenium, un dancing
minable, elle se retrouve au mauvais endroit au mauvais moment : sa vie
bascule avec violence dans un monde âpre et déshumanisé. La candidate Miss se
retrouve prise dans les rets de « l’Etoile », une organisation
criminelle, et plus précisément entre les mains de son chef, l’inquiétant Lino
Valdez (Noé Hernandez).
Un
monde s’impose alors à la jeune fille ordinaire et au spectateur
« normal » (pour reprendre un terme politiquement en vogue en
France), qui le subit en même temps qu’elle. Car tout, dans la mise en scène,
contribue à faire partager l’expérience telle qu’elle est directement vécue par
Laura : la caméra sur elle, même quand elle se retrouve au beau milieu
d’une fusillade ; la faible profondeur de champ dans les plans rapprochés,
avec le point sur Laura, laissant les visages des truands dans le flou ;
le travail sur le hors-champ sonore des talkies-walkies, omniprésents au sein
du fonctionnement mafieux… Comme Laura, on ne comprend pas bien ce qui se
passe ; comme elle, on est manipulé, trimballé, surpris… C’est une
expérience terrible, vécue dans l’hébétement et les réflexes de survie.
« Je ne voulais surtout pas donner la parole aux criminels, comme le font
tous les films américains, genre Scarface », dit Naranjo.
« Nous
n’avons pas peur », se répètent les narcos alors qu’ils
« opèrent ». Mais les forces destructrices détruisent en premier ceux
qui les invoquent (l’espérance de vie dans les cartels est de 5
ans) ; et elles imposent surtout leur chaos à la société mexicaine tout
entière. Naranjo nous balance en terrain miné, dans une ville où les explosions
sont courantes, où les criminels arborent leurs fusils mitrailleurs au grand
jour, où les sirènes de police hurlent constamment, mais où, selon le président
mexicain lui-même, un policier sur deux est corrompu ! Proportion très
sous-estimée selon le réalisateur, qui rappelle, dans un carton final, que
depuis le début de la présidence de Felipe Calderon en 2006, « les cartels
ont fait 35 000 morts ».
Inspiré
d’un fait divers récent, basé sur les rencontres que le réalisateur a pu faire
avec des narcos et la Reine de beauté
impliquée, Miss Bala est un film
engagé sur une nation prise au piège.
Margin Call est un film indépendant américain, le premier long-métrage
d’un dénommé J.C. Chandor. Avec un budget de 3 millions de dollars, il lui a
fallu déjà payer Kevin Spacey, Jeremy Irons, Demi Moore et Simon Baker (The Mentalist) ! Tournage
en trois semaines. Unités de lieu et de temps : tout se passe pratiquement
dans les bureaux d’une grande banque d’affaires new yorkaise, la veille et le
jour du krach d’octobre 2008 qui a déclenché la crise des subprimes, lorsque ont été soldées, à coups de faillites brutales,
les spéculations folles sur la titrisation de prêts hypothécaires à risque.
Quasiment
un quart de siècle est passé depuis le Wall
Street d’Oliver Stone, et avec ses moyens limités, Margin Call gagne en sobriété et en justesse : on est dans un
constat plus froid, en phase avec la conscience qu’a notre époque des délires
qui affectent la finance de marché. Et tous les comédiens sont excellents, y
compris les moins connus Zacharie Quinto et Paul Bettany.
Comme
Miss Bala, Margin Call est une incursion dans un monde opaque, régi par un
pouvoir nuisible à l’ensemble de la société. Ici ce sont les requins de la
finance, une espèce au sang froid qui survit à tous les cyclones. Mais
contrairement à Naranjo, Chandor ne nous greffe pas aux victimes ; il nous
jette au milieu des « opérateurs de marché », 36 heures dans la tour
d’une banque d’affaires dont les derniers étages surplombent la ville
gratte-ciel.
Enfermé
avec les personnages dans leur bulle, on a du mal à ressentir ce qui est en
jeu, à appréhender la réalité des répercussions tragiques de leurs actes.
L’éclatement de la bulle ? On comprend que les sommes en jeu sont
astronomiques ; que des spéculateurs vont perdre de l’argent ; qu’un
grand nombre de traders de la société
vont perdre leur emploi et se retrouver grillés dans la profession… mais vu les
montants de leurs revenus passés et de leurs primes de départ, on a du mal à
les plaindre et à craindre pour leur sort. Les ressorts de la tragédie ne
fonctionnent pas.
Mais
peu importe : Margin Call nous
fait partager le vécu, à un moment critique, de gens qui jusqu’alors, derrière
des noms comme Lehman Brothers, ne représentaient dans nos esprits qu’une masse
informe et confuse. Quand Chandor décrit un milieu, c’est bien documenté (son
père a travaillé 40 ans chez Merrill Lynch), sobre (pas de cliché appuyé), et cinématographiquement
efficace.
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