Captive
est basé sur des faits réels : au début des années 2000, aux Philippines, une
vingtaine de ressortissants étrangers sont pris en otage par le groupe terroriste
Abu Sayyaf. Les premiers sont des touristes et des bénévoles travaillant dans
l'humanitaire ; les seconds des islamistes qui se battent pour
l'indépendance de l'île de Mindanao.
Le
film commence par la prise d’assaut nocturne d’un petit hôtel sur le littoral
sud de l’archipel : le réalisateur philippin, Brillante M. Mendoza, prend d’emblée
le spectateur en otage avec ses personnages, et l’embarque sans présentations dans
un récit de cavale éperdue. Le rapt sera ici aussi mobile dans l’espace et
allongé dans le temps (plus d’un an) qu’il était circonscrit dans un lieu (une
banque) et concentré sur une journée dans le célèbre film de Lumet des années
70, Dog Day Afternoon.
Si
comme moi, les histoires de captivité vous captive a priori, vous ne serez pas gênés
par l’absence des scènes classiques nous faisant entrer dans l’intimité de tel
ou tel personnage. Au contraire : ce choix scénaristique contribue à nous mettre
en phase avec l’état de confusion et d’hébétude des otages durant leur
dangereuse et interminable errance…
« On a tourné les scènes dans
l’ordre pour que les acteurs s’identifient aux personnages, et je ne souhaitais
pas qu’ils se rencontrent avant le
tournage afin d’instaurer un fossé entre
otages et terroristes », explique Brillante Mendoza. Je ne suis pas
sûr que cette technique ait réussi à Isabelle Huppert, qui incarne une
Française en mission humanitaire pour une ONG chrétienne. Elle a beau avoir la
mine hâve, l’air exténué, et pousser parfois des cris, la seule comédienne
française de l’équipe donne souvent l’impression de n’être pas vraiment dedans, d’être détachée, un peu
« touriste »…
A cela
s’ajoute le choix de ne pas s’attarder sur certaines épreuves qu’endurent les
fugitifs : faim, soif, humidité, absence totale de confort et d’hygiène, peur (non
seulement des ravisseurs et des balles perdues de l’armée, mais aussi des
serpents, scorpions…), douleurs (la plupart marchent en tongs dans la
jungle !), espoirs déçus (de s’échapper ou d’être libérés).
Pourtant
ce que Mendoza propose sur les deux heures de film est une réalité qui n’en est
pas moins captivante ! En gommant certains artifices fictionnels, le
réalisateur a opté pour une approche sèche, documentée et très crédible des
faits et des protagonistes, et une approche du décor naturel qui tire vers le
merveilleux. Le résultat est souvent fascinant, comme dans cette scène où la
captive parisienne, alors qu’elle s’isole un peu pour assouvir un besoin
naturel en pleine jungle, aperçoit le vol furtif d’un grand oiseau multicolore,
un Sarimanok, oiseau magique légendaire appartenant au folklore de l’île de
Mindanao.
Compliance,
lui aussi, annonce en carton introductif qu’il est inspiré de faits réels.
Sandra,
la gérante débordée d'un fast-food d’une banlieue de l’Ohio reçoit, en plein
coup de feu du vendredi, l'appel d'un policier. Au bout du fil, l'homme est
formel : l'une des jeunes employées a volé de l'argent dans le sac d'une
cliente. Le flic dit aussi être parallèlement en contact avec le propriétaire
de la chaîne de restauration, sur une autre ligne. Aussitôt, Sandra et son
entourage se plient à tout ce que la voix autoritaire exige au téléphone :
interrogatoire de la suspecte, enfermement, fouille au corps (en attendant
l’arrivée de la patrouille)… et plus, car « affinités » créées par
manipulation…
Comme
son titre l’indique, Compliance montre comment le mécanisme de soumission à ce
qui est perçu comme un autorité peut, chez un sujet lambda susciter des
comportements déviants et mener à des actes criminels. Le réalisateur, Craig
Zobel, dit avoir été marqué par les fameuses expériences menées dans les années
60 par le psychologue américain Stanley Milgram. Elles cherchaient à évaluer le
degré d'obéissance d'un individu
devant une autorité qu'il juge légitime, et à analyser le processus de
soumission à l'autorité, notamment quand celui-ci induit des actions posant des
problèmes de conscience au sujet. Les
résultats furent atterrants : plus de 60 % des sujets (ordinaires)
s’étaient mués, pour les besoins d’une pseudo-étude scientifique, en
tortionnaires criminels. « J'aimerais
appartenir aux 40 % restants, mais je n'en suis pas sûr », dit Zobel. « Personne ne peut l'être. »
Le
réalisateur connaît manifestement l’efficacité des techniques de manipulation,
utilisées notamment dans le milieu commercial. Il s’en est judicieusement
inspiré, dans Compliance, pour imaginer comment cette voix au téléphone arrive
à faire faire à des quidams des actes inacceptables.
Malheureusement,
le substrat réel fort du sujet semble avoir inhibé la créativité du cinéaste,
et il y a un moment où la soumission de Sandra paraît invraisemblable. On ne sait
pas comment était le modèle de Sandra dans la réalité, mais Zobel, qui ne l’a
pas rencontrée, a choisi pour l’incarner une comédienne, Ann Dowd, qui dégage
une sensibilité de cœur et une intelligence évidentes.
Le
carton de fin nous rappelle néanmoins que la réalité dépasse parfois la fiction
: « Sandra » n’a pas été la seule victime du pervers ; comme
elle, 69 femmes se sont faites piégées… Parmi elles, pourquoi n’y aurait-il pas
eu une Ann Dowd ?
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