Le mur invisible, premier
long-métrage de l’Autrichien Julian Roman Pölsler, est une adaptation d’un
roman - Die Wand - qui fut un best-seller dans les pays germanophones lorsqu’il
parut en 1963. Venue passer quelques jours dans un chalet dans les Alpes, une femme est brutalement séparée du reste du
monde par un mur invisible, comme une immense vitre en pleine nature, qui lui
bloque toute issue au-delà d’un certain périmètre. Les gens qu’elle aperçoit de
l’autre côté semblent pétrifiés en pleine action, comme si le temps s’était
brusquement arrêté pour eux.
Le début du film relève donc
clairement du registre fantastique, avec une brèche dans le réel qui engendre
de l’angoisse (très bonne utilisation du silence). Le phénomène demeurant
aussi inexpliqué qu’irrémédiable, la femme renonce bientôt à toute tentative
d’évasion. La seule alternative est alors l’adaptation ou le suicide. Pour
éviter l’effondrement psychique, elle se met à écrire. Le récit du film est calé sur ce « compte-rendu »,
comme elle l’appelle, chronique existentielle de sa survie, seule dans la
nature. La faiblesse principale du film découle de l’usage immodéré de ce
texte, en voix off sur des plans frontaux de l’actrice « pensive ». Martina
Gedeck (La Vie des autres), la cinquantaine, physique assez ordinaire,
visage à la plastique variable, participe de l’effet d’humanisation du
fantastique.
Lorsqu’elle monte dans les
alpages, elle reprend goût au monde et se sent apaisée. Les images en CinémaScope
de la montagne enneigée, de la vallée dans la brume, du ciel étoilé, sont d’une
beauté à couper le souffle.
Les « histoires de
Robinson » sont toujours passionnantes, l’expérience d’isolement absolu
offrant l’occasion de « revenir aux fondamentaux ». Ici la citadine
se transforme en paysanne : elle s’adonne aux travaux des champs, coupe du
bois, ramasse des fruits, fait vêler une vache, chasse… « On ne s’habitude pas à tuer », écrit-elle après avoir
tiré sur un chevreuil dont l’agonie donne lieu a une scène impressionnante. « La seule personne qui puisse faire le
bien ou le mal dans cette forêt, c’est moi ». Sa hantise est de
sombrer « dans un abîme au-delà de
l’animalité ». Les animaux justement se révèlent d’une importance
vitale : son chien qui lui réapprend la joie ; une chatte comme miraculeusement
née « sous cloche »… Au-delà de l’attachement lié à leur
compagnonnage, c’est le sentiment de responsabilité à leur égard qui constitue
sa seule raison de survivre au désespoir. Cela m’a paru très juste : notre
vocation d’être humain n’est-elle pas de prendre
soin de ce qui nous a été confié ? « La
vie est plus supportable quand on aime et quand on est aimé. Je ne connais pas
d’émotion plus raisonnable que l’amour. » Étonnamment, Dieu n’est
jamais invoqué, ni même évoqué…
Il est en revanche prié avec
ferveur dès le premier plan du film argentin Los Salvajes. Le jeune Simòn prie
juste avant cette nuit où, avec son frère aîné Gaucho, deux autres adolescents
et une fille, il va s’évader du centre de détention pour mineurs (où l’on
récite le bénédicité à la cantine). Après avoir froidement assassiné un
gardien, les fugitifs s’engagent dans une longue marche à travers la pampa, et
finissent par se perdre dans un paysage de plus en plus accidenté, de montagnes
basses flanquées de végétations éparses. Ils pillent et tuent les rares
personnes qu’ils rencontrent sur leur route. Peu à peu, le groupe se disloque
et chacun devient une menace pour l’autre.
Le réalisateur Alejandro Fadel
est un des scénaristes de Elefanto Bianco (cf numéro du mois précédent). Pour
incarner ses « sauvages », il a choisi des amateurs qui avaient un
vécu similaire à celui des personnages. Une équipe légère lui a permis
d’expérimenter en tournage l’âpreté d’une immersion dans la nature sauvage et
de se détacher progressivement d’une forme narrative conventionnelle pour faire
confiance à la puissance poétique des images. Et il n’expose jamais la violence
criminelle de façon frontale.
C’est également un premier
long-métrage, tourné en Scope.
Si le nom de la femme autrichienne
nous était inconnu (et pour cause !) les adolescents argentins n’ont pas
vraiment d’identité et ne se parlent quasiment pas.
Ils fument de la drogue dans des
sacs en plastique, et Gaucho, le plus azimuté de tous, laisse grésiller
constamment une petite radio qu’il a trouvée. Autant dire qu’eux non plus ne
sont pas dans un rapport édénique avec cette nature qu’ils ne connaissent pas. Pour
Gaucho par exemple, l’horizon de la libération, c’est une mégalopole, Buenos Aires.
Eux aussi se mettent à chasser (le sanglier) et apprennent à le dépecer.
Simòn, qui n’est pas un tueur,
renonce également à tirer sur un animal qu’il vise.
Enfin, comme dans Die Wand,
l’autre est un ennemi potentiel, l’homme est un prédateur. Les rares personnes
que les ados rencontrent sont dans un rapport hostile aux autres :
hors-la-loi ou flics.
Les prières de Simòn et la résonance
mystique de certains plans ne laissent pas présager le panthéisme désespéré de
la fin.
Ainsi, en parquant une femme et
des adolescents dans la nature sous le soleil, ces deux films soulignent
l’enfermement de l’homme moderne dans les ténèbres de son cœur, devenu opaque à
la lumière pascale.
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