Attention : découverte d’un
cinéaste exceptionnel ! Présenté en compétition officielle à Cannes
l’année dernière, Dans la brume est le deuxième long-métrage de Sergei
Loznitsa, réalisateur ukrainien né en Biélorussie.
C’est une adaptation d’un roman
de Vassil Bykov, écrivain biélorusse dont l’œuvre a été fortement marquée par
son expérience de la seconde guerre mondiale (il s’est engagé dans l’Armée
rouge à 17 ans). Loznitsa explique être intéressé par « les situations dans lesquelles l'homme n'a aucun choix. Le roman
décrit des impasses absolues, et les décortique méticuleusement. Et il montre
très bien que l'individu n'est pas le seul responsable de sa paralysie : il
subit les mouvements de la société. »
L’histoire se déroule en 1942, dans
la Biélorussie occupée par les Allemands. Deux partisans, des combattants de la
Résistance soviétique, progressent discrètement vers une maison nichée dans la
forêt profonde. Souchénia, un cheminot, y vit avec sa famille. Peu à peu, au
fil de trois flashbacks donnant le point de vue de chacun sur les évènements,
le spectateur comprend qui sont ces trois hommes, comment ils se sont retrouvés
engagés dans la résistance, et pourquoi Souchénia est soupçonné d'avoir donné
ses camarades à la suite d'un sabotage. « Pour remonter aux racines de l'action, et prouver que celle-ci
est parfois déterminée, mon film tente de dérouler étape par étape cette suite
d'événements que nous ne contrôlons pas mais qui déterminent notre
existence. »
Combien différente aurait été une
adaptation américaine de cette histoire de vengeance ! Ici, tout est dense
d’humanité. Et aucun film français n’aurait osé proposer un personnage comme Souchénia (Vladimir
Svirski, une révélation): un pur, une figure victimaire (de l’Histoire) qui confine
à la sainteté.
Comme pour nous faire partager le
vécu de ces périodes troubles où le voisin de toujours peut devenir menace, la
mise en scène de Loznitsa nous oblige à élucider ce que nous découvrons :
contextualisation historique minimale ; informations égrenées au fil de
l’action ; personnages tout
en retenue ; dialogues rares ; cadrages-étaux qui laissent un
hors-champ à imaginer ; saut temporel sans transition… Loznitsa revendique
l’influence de maîtres de l’épure comme Bresson, Ozu ou Dreyer, et il peut sans
conteste s’inscrire dans cette sublime lignée d’un cinéma dépouillé. Avec une
grande maîtris, il nous implique physiquement dans son univers (importance des
détails concrets) et nous fait vivre ces 2h10 comme un trip (temps distendu) dans une forêt mystérieuse, magnifiquement
rendue par la photographie d’Oleg Mutu (également chef opérateur d’Au-delà des
collines).
Un film dont les personnages
principaux masculins sont deux prêtres, c’est déjà rare ; des prêtres
présentés comme des héros, cela paraît improbable sous nos latitudes ! Certes,
il y a eu le phénomène Des hommes et des dieux. Mais le succès de ce film
français n’a-t-il pas été pour beaucoup redevable au fondement réel de son histoire ? Elefante Bianco est un film argentin. Et même s’il s’inspire
de la vie du curé Carlos Mugica - un jésuite proche du mouvement des prêtres
ouvriers, assassiné en 1974 par un escadron de la mort -, c’est une fiction,
qui a pour cadre l’actuelle banlieue de Buenos Aires.
Elefante Bianco est le nom donné
au bâtiment d’où les pères Julian et Nicolas exercent leur ministère : une
immense carcasse abandonnée de ce qui devait être le plus grand hôpital
d’Argentine et qui est devenu le cœur du bidonville de la Vierge. Ici plus de trente
mille personnes s’entassent dans des conditions infernales : pauvreté,
insalubrité, violence, drogue… Comment ne pas être touché par le sort accablant
de ces laissés-pour-compte ? Et comment ne pas admirer le courage de ceux et
celles qui ont librement choisi de les rejoindre pour améliorer leur quotidien ?
Le réalisateur Pablo Trapero décrit la vie de ces prêtres engagés avec un
réalisme quasi-documentaire : célébration des sacrements, entretien de la
chapelle, visites, protection des plus faibles. Amis de longue date, Julian et
Nicolas s’interrogent, se disputent, doutent… Ils ont chacun leurs blessures,
leurs fragilités.
Dès la première scène, on
comprend que les personnages ne seront pas mythifiés : un homme dans la
jungle, la nuit, se cache pour échapper au massacre d’un village perpétré par
des paramilitaires. A l’aube, seul survivant, il pleure… Pas vraiment la
réaction ordinaire du héros de film d’action ! Cette scène fait partie
d’une longue séquence pré-générique, sans dialogue, particulièrement réussie.
Il y a aussi cette succession inspirée de plans du bidonville sous les Ave
Maria (en off) des prêtres réunis en prière. Prier et aider sans mettre le
doigt dans les rouages malsains du bidonville, c’est la ligne de Julian, dont
va s’écarter le téméraire Nicolas. A travers leur désaccord, est posée la
question des limites de l’engagement de l’Eglise dans les combats pour
plus de justice.
L’ambition d’Elefante Bianco est
généreuse, mais à embrasser trop de sujets, le scénario finit par n’en
étreindre vraiment aucun. Reste que le film est à voir, ne serait-ce que pour l’acteur
belge Jérémie Rénier (Nicolas) qui, depuis La Promesse en 1995, où il avait 15
ans, en passant par le récent Cloclo, n’a rien perdu de sa singulière candeur.
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