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samedi 8 janvier 2022

Juillet 2021 : "Sìrìrì – Le cardinal et l’imam" de Manuel von Stürler (2021)

Depuis 2013, la République centrafricaine s’enlise dans un conflit qui oppose groupes armés chrétiens et musulmans. Pendant que les diamants et l’or sont commercialisés dans l’indifférence générale, un cardinal et un imam luttent ensemble pour pacifier les communautés meurtries.

C’est peut-être parce que je revenais de vacances et que j’étais déconnecté de l’actualité et de ses drames ; c’est probablement aussi parce que je vais bientôt me rendre en mission humanitaire au Soudan du Sud et que j’ai vu beaucoup de similitudes entre ces deux pays voisins (1) et les drames que vivent leurs populations ; c’est certainement enfin parce que ce documentaire, judicieusement délesté d’informations et de discours idéologique, témoigne juste de certaines réalités avec une modestie qui l’honore ; quoi qu’il en soit, Siriri (2) m’a plu et j’y repense souvent. 


Même si le réalisateur franco-suisse Manuel von Stürler suit deux hommes de foi - l’imam Kobine Layama, de Bangui, et le cardinal Dieudonné Nzapalainga - qui se battent ensemble pour promouvoir une coexistence pacifique et fraternelle entre les communautés chrétiennes (80% de la population) et musulmanes (15%), la stature et le charisme du cardinal en font le personnage principal de Siriri. On est loin de l’image que l’on se fait habituellement des cardinaux au Vatican : le moins que l’on puisse dire, c’est que celui-ci mouille sa soutane ! Il conduit lui-même son 4x4 et fait par exemple près de 600 km (pas sur des autoroutes !) pour aller de Bangui à un camp de déplacés (3). Comme le fait remarquer un des rares commentaires du film : « Il avale des kilomètres de pistes du matin au soir. J’ai l’impression qu’il fait corps avec sa jeep, que le moteur est l’expression de son tempérament (…) c’est un des conseillers du pape François, qui l’a créé cardinal. »

Le côté brut de la réalisation offre quelques belles séquences tournées de nuit en extérieur. Certaines, plus intimes, dans le calme ; d’autres, où l’on distingue dans l’obscurité bleutée les visages des malheureux déplacés qui s’expriment dans un mégaphone : « Les rebelles nous ont chassés. Ils ont brûlé nos maisons. Nous dormons comme des animaux. L’accès à nos champs nous est interdit. » Un autre : « Comment renouveler notre croyance en Dieu ? Nous ne croyons plus. Ses paroles n’existent plus sur cette terre ». Une femme : « Qu’avons-nous fait au Bon Dieu ? Nuit et jour, nous pleurons. » Séquence forte, qui se clôt sans réaction manifeste du cardinal, juste à leur côté…

 

Puis Dieudonné se rend dans un hôpital où patients et personnel se sont fait égorger, violer. Où l’on commence à comprendre que les casques bleus, présents au moment de l’attaque, au mieux ne servent à rien…

 

Le film est bien construit et nous fait progressivement appréhender les difficultés de la démarche des deux hommes. Dans les premières séquences, le cardinal se contente d’écouter les doléances. Il témoigne de son soutien (et de celui de l’Église) par sa présence ponctuelle, mais c’est tout. On se dit que les deux chefs religieux s’aventurent sur un terrain en dehors de leur domaine de compétence, et que ce n’est pas évident : ils doivent rester sur un plan différent de celui des dirigeants politiques. Mais de toutes façons, ils n’ont pas vraiment le choix, n’ayant pas de réelles prises sur les évènements, même si l’Église reste dans ce pays une des seules organisations opérationnelles. Que faire face à des groupes armés quand les devoirs régaliens ne sont pas assurés par l’Etat ? La tentation du repli doit être forte. « Mais », comme le dit un prêtre, « je pense qu’il faut avoir le courage de continuer à parler. Parce que si l’Église se tait, ne dit pas la vérité, c’est le chaos. C’est aussi notre rôle prophétique de dénoncer le mal, de dire tout haut ce qui ne va pas. »


Peu à peu, on voit comment l’intervention du cardinal peut être bien ajustée. Ainsi lorsqu’il s’adresse à des villageois : « Vous avez une connaissance dans un groupe armé. Appelez-le sans hésiter. Parlez-lui, conseillez-le. Il doit revenir à la raison. Votre parole peut le convaincre. Je ne serai pas jaloux si la Parole de Dieu passe à travers vous. Seul, je n’y arriverai pas. » Dans les principales villes, le cardinal et l’imam ont aussi des personnes-relais qui jouent un rôle de médiation et d’apaisement auprès des responsables locaux et des populations. Comme le souligne von Stürler, « leur objectif principal est d’encourager les civils à ne pas prendre les armes, même en représailles aux attaques régulièrement perpétrées. » Et leur message semble porter, comme en témoigne une musulmane d’un camp de déplacés dans une ville qui a commencé à retrouver la paix : « Si quelqu’un se fait poignarder ou tabasser, on ne rentre plus dans la vengeance ».

Et puis, à nouveau, la violence : un village se fait attaquer par des miliciens musulmans de la Seleka, les maisons sont incendiées, des prêtres sont tués. Alors qu’il montre des photos de cadavres carbonisés, un témoin constate : « Quand les casques bleus chrétiens étaient ici, rien de tout cela n’est arrivé. Quand le contingent mauritanien les a remplacés, beaucoup de choses ont changé. Les Mauritaniens fournissent des munitions à leurs frères de l’UPC, nous l’avons bien vu. »


Finalement (et fort heureusement), contrairement à l’intention première du réalisateur, Siriri ne s’inscrit pas dans le discours occidental convenu de tolérance qui évacue, par paresse ou manque de courage, la question de la violence dans l’islam. Et qu’il y ait des hommes de bonne volonté (et des crapules) dans « tous les camps » est une banalité. Le vrai sujet qui se dégage de la vision du film  est comment, en plein conflit, prôner la paix et encourager la non-violence entre frères humains. 

« 
Vous le savez, nous les hommes de la religion, nous avons comme arme la Parole de Dieu (…) nous nous adressons à des consciences », dit le cardinal aux fonctionnaires de l’ONU lors d’une « session des droits de l’homme » au Palais des Nations, à Genève. « Mais nous savons aussi que notre rôle est limité. Nous avons besoin d’un contexte sécuritaire pour parler ».

L’ONU est présente avec 12 000 casques bleus et un mandat de maintien de la paix. « Or la paix n’existe pas. C’est donc un mandat un peu boiteux », dit Manuel von Stürler, avec diplomatie. « Finalement il ne reste que les religieux pour venir en aide aux populations. Cet engagement absolu, total qui permet de dépasser les limites de la peur et du danger, comme le fait le cardinal, a été une découverte pour moi. J’ai appris à avoir beaucoup plus d’humilité pour cet engagement religieux tellement malmené, voire méprisé en Occident aujourd’hui. »


(1) Près de 700 km de frontière, à la même latitude.

(2) Titre que je n’ai toujours pas compris !

(3) Un quart de la population vit dans des camps de déplacés à l’intérieur ou à l’extérieur du pays.

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