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lundi 4 février 2019

Janvier 2019 : "Forgiven" de Roland Joffé (2017)


En 1995 en Afrique du Sud, les lois de l’apartheid ayant été abolies trois ans auparavant, l’archevêque anglican Desmond Tutu est nommé par le nouveau président Nelson Mandela à la tête de la Commission vérité et réconciliation, dont la mission est de solder des décennies de ségrégation raciale. Il s’agit de sillonner le pays pour récolter les témoignages des victimes et des oppresseurs, afin de recenser les violations des droits de l'homme commises de 1960 à 1963 et d'éclaircir les crimes et exactions politiques commis au nom du gouvernement sud-africain ou des mouvements de libération nationale. La spécificité du processus était de garantir une amnistie pleine et entière des crimes commis en échange de leur confession publique.

Forgiven se concentre sur l’implication personnelle de Desmond Tutu sur deux cas particuliers (fictifs) : celui d’une femme noire qui n’a aucune nouvelle de sa fille disparue, et surtout celui de Piet Blomfeld, un assassin condamné à perpétuité. Cet ancien officier des forces de défense sud-africaines et du mouvement de résistance afrikaner, écrit à l’archevêque et lui laisse croire qu’il serait prêt à passer aux aveux. Mais il semble n’éprouver aucun regret de ses actes, au contraire : son attitude provocatrice cherche à déstabiliser Tutu en le faisant douter de la pertinence du processus national dans lequel il est engagé corps et âme.

Forgiven est un film de Roland Joffé, connu notamment pour Mission (1986) qui mettait en scène le drame de conscience de Jésuites, au XVIIIe siècle, contraints par les autorités espagnoles et portugaises d'abandonner leur mission auprès d’une communauté amérindienne vivant dans une forêt tropicale.
Le réalisateur franco-britannique s’attaque donc à nouveau à un sujet mêlant christianisme et politique, en s’appuyant encore sur des acteurs connus : à l’époque c’était Robert de Niro et Jeremy Irons, cette fois c’est Forest Whitaker (Le dernier roi d’Écosse en 2006, Le Majordome en 2013) pour incarner Desmond Tutu et Eric Bana (Hulk en 2003, Munich en 2005) pour le rôle de Piet Blomfeld. Mais plus de trente ans après, la société a changé : alors que Mission avait bénéficié d’une distribution importante et avait été couronné par une Palme d’or à Cannes, Forgiven, film au budget bien plus modeste, pâtit d’une distribution confidentielle et d’une critique « mainstream » dédaigneuse, voire hostile.

Pourtant j’ai beaucoup aimé ce film. Je ne connaissais pratiquement rien à cet épisode-clé de l’histoire sud-africaine contemporaine, et je n’avais donc aucune attente concernant son traitement fictionnel. Le fait que le scénario se focalise, de manière assez classique, sur un conflit précis vécu par le personnage principal, sans embrasser la complexité des enjeux du processus mis en place par la Commission, ne m’a pas dérangé, au contraire. J’ai été captivé par ce duel entre L’Evêque et l’Antéchrist, pour reprendre le titre de la pièce de théâtre de Michael Ashton qu’il a lui-même adaptée pour le film.
Forgiven a beaucoup de points communs avec un autre film magnifique, passé inaperçu en 2006 : Longford. Ce téléfilm anglais de Tom Hooper[1] est basé sur l’histoire vraie, à la fin des années 60, de l'ancien ministre britannique Lord Longford, alors visiteur de prison, qui reçoit une lettre de l'un des criminels les plus connus du pays, Myra Hindley, condamnée à la prison à perpétuité pour avoir participé, avec son petit ami, au meurtre de plusieurs enfants.
Catholique fervent, Longford décide de faire confiance à cette femme qui affiche une volonté de conversion religieuse, et il œuvre pour sa libération conditionnelle malgré les vives critiques de la population, des tabloïds, des politiciens et même de sa propre famille.
Pour moi, ces films sont essentiels parce que le drame qu’ils mettent en scène est ramené à l’enjeu fondamental de toute vie humaine, du point de vue chrétien : gagner le combat contre les forces du mal, avec les seules armes de l’Esprit Saint. Et décidément celui-ci souffle où il veut, tant Forgiven, réalisé par un cinéaste agnostique, est un film édifiant.  
Blomfeld est très intelligent. Et dans ses face-à-face avec Desmond Tutu, il est tellement haineux qu’on croirait entendre Satan s’adressant à l’homme d’Église, en voulant porter atteinte à ses efforts pour rétablir la paix dans sa communauté. D’ailleurs, à un moment, Tutu lui dit très justement cette parole salutaire, pour le rappeler à son humanité : « Vous n’êtes pas un ange déchu et je ne suis pas Dieu... nous ne sommes que des hommes ». Pas évident d’incarner un personnage noble, croyant, dans cette situation singulière. Forest Whitaker le fait très bien, avec subtilité. Tutu est rarement dans la réaction mimétique. Il essaie constamment d’en appeler à la conversion du cœur endurci de l’assassin : « Vous n’avez pas été bon jusqu’à présent, mais à partir de maintenant, vous pouvez changer (…) Vous ne pouvez revenir en arrière ou changer votre passé mais vous pouvez choisir là où vous allez ». Et ce qui me semble être authentique et fascinant, c’est que dans ce duel long et éprouvant, Tutu est très peu dans la planification stratégique, le calcul : il suit son instinct, sa conscience. Et prie… même si on ne le voit prier qu’une seule fois, quand il est au plus bas, assailli de doutes.

Enfin les scènes de prison sont excellentes. La violence inouïe qui y règne est le reflet de la violence de cette société sud-africaine à l’époque. Roland Joffé n’a fait jouer que des anciens détenus, dont certains n’étaient sortis que six mois auparavant.

Même si sa musique est parfois un peu lourde, Forgiven est un film palpitant et rare parce qu’il nous présente le combat exemplaire d’un chrétien. Un homme Providentiel pour tout un pays. C’est un film à voir alors
qu’actuellement les tensions s’exacerbent dans nos sociétés.

Je me permets de partager ces paroles de Jésus, extraites de L’Évangile tel qu’il m’a été révélé[2], découvertes alors que je viens d’achever cet article : « Un autre vous a dit : « Faites pénitence. Purifiez-vous du feu impur de la luxure, de la fange de vos fautes. » Moi, je vous dis : mes pauvres amis, étudions ensemble la Loi. Réécoutons en elle la voix paternelle du Dieu vrai. Et puis ensemble adressons à l’Éternel cette prière : « Que ta miséricorde descende sur nos cœurs. »


[1] Le réalisateur de Danish Girl (2015) - voir notre critique https://www.choisir.ch/arts-philosophie/cinema/item/2626-meli-melo-sexuels - et du Discours d’un roi (2010).
[2] La vie de Jésus d’après les visions de l’Italienne Maria Valtorta, de 1944 à 1947. Tome 2.

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