Dans un
futur proche, les États-Unis sont devenus une dictature : la République de
Gilead. La pollution ayant considérablement diminué la fertilité des êtres
humains, toute l’organisation de la société est structurée autour de la
maîtrise de la reproduction sexuelle, via l’exploitation des rares femmes
fertiles. Parmi ces dernières, Offred (Elisabeth Moss, découverte dans la série Mad Men) est une des servantes (handmaid)
assignées à un «Commandant» à qui elle doit donner des enfants en
lieu et place de son Épouse stérile. Ce régime totalitaire est fondé sur une
idéologie aux relents pseudo-chrétiens, une sorte de secte d’extrême-droite dont
la caste dirigeante contrôle d’une main de fer les faits, gestes et pensées
d’une population réduite à l’esclavage.L’action des premiers épisodes se
focalise sur les premiers pas d’Offred (nom qui lui a été attribué) dans cet
univers concentrationnaire et paranoïaque, où chacun(e) est constamment sous la
surveillance de tous, la police secrète (The
Eye) traquant le moindre signe de déviance. Il existe des rebelles, et le
pays est en guerre civile, mais tout cela reste (pour l’instant) en
arrière-plan. Les intellectuels sont envoyés dans des colonies. Les lesbiennes
sont classifiées d’«anti-femmes».
Les
servantes sexuelles comme Offred, vêtues comme des nones de cornettes blanches
et robes écarlates, se déplacent deux à deux sur des trajets imposés, en longeant
de hauts murs où sont suspendus les corps des victimes de la répression : les
cadavres cagoulés sont estampillés de signes distinctifs -médecins, homosexuels,
prêtres-, leur culpabilité relevant toujours d’une hétérodoxie par rapport aux
canons du nouvel ordre sexuel.
Le premier
épisode raconte comment Offred et d’autres jeunes filles fécondes ont été rééduquées
dans The Red Center sous la houlette
électrique de Tante Lydia. L’une des «délurées» ayant eu le malheur de ricaner
lors d’un cours collectif, elle se fait arracher un œil illico. Ben oui, «si
ton œil est pour toi une occasion de chute, arrache-le»[1],
alors autant donner un petit coup de main aux pécheresses. Et après tout, comme
dit un personnage, elles n’ont pas besoin d’yeux pour se reproduire.
La
violence est ritualisée. Il y a la Cérémonie : «C’est un merveilleux
rituel, explique la matrone au taser.
Pendant les jours d’ovulation, la servante doit s’allonger entre les jambes de
l’Épouse du Commandant. Les deux femmes formeront un seul corps, une seule
fleur, dans l’attente de la semence.» Offred
se fait donc régulièrement violer par son Commandant en présence de son Épouse.
Il y a encore la Particicution: un lynchage-exutoire
par les servantes, d’un violeur non habilité. Et il y a enfin le moment tant
recherché de l’accouchement, vécu dans des conditions d’oppression hystérique.
Regroupées en cercle autour de la malheureuse parturiente borgne, des servantes
lui crient les consignes martelées par la Tante Lydia: «Respire! Respire!» Et quand vient le temps de la délivrance, la
mère se traîne jusqu’à un siège spécial, où l’Épouse (qui s’est entrainée
auparavant avec d’autres Épouses) la rejoint, se positionnant derrière elle
pour mimer la phase finale… Quand arrive le nouveau-né, il est posé sur la
poitrine plate de la mère instituée, sous les yeux brillants de ses homologues
et celui, éteint, de la mère dépossédée.
Série
glaçante à l’esthétique glacée, The
Handmaid’s Tale est réalisée avec un soin évident : cadrages et
lumières léchés, décors et costumes maîtrisés, rythme efficace, les six premiers
épisodes sont prometteurs. Il y a certes un côté un peu appuyé dans
l’utilisation de la musique, la narration en off, ou certains dialogues des
jeunes dans les flash-backs, mais globalement, la première saison est
formellement réussie.
The Handmaid’s Tale est une
adaptation du roman éponyme de la Canadienne Margaret Atwood, publié en 1985[2].
Ce succès littéraire a été écrit alors que l’auteur était à Berlin ouest, avant
la chute du mur. Atwood dit avoir été inspirée par l’atmosphère qui régnait
derrière le rideau de fer, dans les pays communistes, athées. Pourtant sa
dystopie semble servir un propos farouchement féministe et antireligieux. Dans
un entretien publié dans The New York
Times en mars dernier, Margaret Atwood s’en défend: «Si vous voulez dire un
pamphlet idéologique dans lequel toutes les femmes sont présentées comme des
anges et/ou des victimes incapables de choix moraux, non (…) Le régime utilise
des symboles bibliques, comme le ferait sans doute tout régime autoritaire en
Amérique: il ne serait pas d’inspiration communiste ou islamiste (…) Les
catholiques et les baptistes sont ciblés et éliminés. Les quakers se sont
organisés dans la clandestinité et contrôlent une voie de fuite vers le Canada
(...) Donc le livre n'est pas anti-religion. Il condamne l’utilisation du
masque religieux par les dictatures; ce qui est complètement différent.»
Admettons.
Il n’empêche que la série ne présente pas un monde imaginaire déconnecté de la
réalité américaine actuelle, et que l’univers créé oppose la représentation de
cette réalité et le régime fascisant dans un rapport forcément manichéen.
Or le
monde d’avant l’instauration de la dictature, que l’on découvre via des
flashbacks, est celui imposé par une certaine idéologie «progressiste» dans nos
pays occidentaux entrés dans l’ère de l’Homos
Festivus, cette figure emblématique inventée au début du siècle par
l’essayiste français Philippe Muray pour caractériser le citoyen moyen de la
posthistoire.
Lorsque
Offred, qui est aussi la narratrice de l’histoire, se remémore sa vie passée,
que voit-on? Des trentenaires urbains CSP+ (travaillant dans le marketing,
l’industrie numérique ou l’assurance) avec, parmi les héroïnes, une
représentation prégnante des minorités LGBT ou noires. Les (jeunes) femmes
vivent tranquillement leur sexualité débridée, jouissent en mangeant des glaces
caramel au beurre salé, font du footing en écoutant du Simple Minds et ont pour
référence les films d’horreur pour adolescents. Quant aux (jeunes) hommes
hétéros, ce sont des lâches ou des bobos barbus portant leur gamin sur leurs
épaules dans des fêtes foraines.
Face
à ce que la matrone redoutable de la série, Tante Lydia, appelle avec dégoût «cette
génération Über» qui organisaient des «orgies avec Tinder»[3],
le monde de la République de Gilead, s’il tient un peu de l’univers orwellien
de 1984, présente surtout les
attributs extérieurs d’un christianisme totalement dégénéré. Une sorte de
délire sectaire qui n’a de chrétien que des détournements (qui sont autant de
retournements diaboliques) de détails: les locutions de salutation (Béni soit le fruit. Que le Seigneur ouvre.
Sous son Œil), les costumes des
servantes, les scènes de confession (en groupe, axée sur la culpabilisation et
l’accusation: tout l’inverse du sacrement catholique) et des références
constantes à la Bible, en particulier à l’épisode de Jacob et de ses quatre
femmes (deux sœurs et leurs deux servantes).
Tout
se passe comme si cette secte avait été imaginée par les héroïnes de la série,
ou plus généralement par des jeunes de nos métropoles, pour qui la
méconnaissance du christianisme est telle qu’il ne leur reste que des bribes,
des clichés, de vagues réminiscences culturelles mélangées à quelque
compréhension du phénomène sacrificiel. Certes, on apprend incidemment que
certains prêtres sont aussi des victimes, et que certaines églises, comme
Saint-Patrick à New York, ont été détruites. En voyant les ruines d’un église,
Offred dit: «Saint-Paul est l’église de mon père. Ma fille a été baptisée ici.» [4]
Mais il n’empêche que ce qui est mis en avant, ce qui est prégnant
dans The Handmaid’s Tale, c’est
l’idéologie (sacrilège du point de vue chrétien) de ces pseudo-chrétiens
extrémistes -et accessoirement la domination sociale d’une élite bourgeoise
WASP tendance Tea Party- mais aucunement l’organisation politique, militaire et
financière de cette dictature.
Si bien
que le sous-texte de la série c’est quand même que l’ennemi de la femme vient
des rangs, fussent-ils minoritaires, des chrétiens. Je veux bien entendre
l’argument de Margaret Atwood concernant la pertinence de ce choix pour les États-Unis
(et encore, je ne crois pas qu’il y ait actuellement là-bas une déferlante,
sinon une vague, de fondamentalisme chrétien), mais pour un spectateur suisse
ou français, cela paraît totalement à côté de la plaque, voire relevant d’une
prise de position à la fois lâche et stupide… même si totalement dans l’air du
temps. En France, une certaine idéologie dominante préfère en effet s’acharner
sur une religion apparemment en déclin et au message devenu inaudible, plutôt
que de se confronter à d’autres religions dont la vision de la femme, en
l’occurrence, donnerait pourtant prise à la critique féministe. En témoignent
les commentaires des médias français suite à la diffusion des premiers
épisodes: «La théocratie de Gilead a des accents de Manif Pour Tous dans sa philosophie essentialiste, qui
réduit les femmes à leur fonction procréatrice.»[5]
«Thriller terrifiant, avertissement contre les dérives conservatistes et
bigote, The Handmaid's tale est
aussi, pour l’instant en creux, un appel à profiter de la vie, à aimer, à
désirer qui l'on veut. À se soulever contre ceux qui voudraient nous en
empêcher, au prétexte de nous débarrasser d’un monde pluriel et complexe.»[6]
Paradoxalement,
il me semble que nous vivons des rapports de force inversés par rapport à ceux
imaginés dans The Handmaid’s Tale. Le
côté intégriste, obsessionnel est souvent celui, libéral-libertaire, des élites
connectées et mondialisées en général, et des mouvements «pro-choix» en
particulier.
La
politique des petits pas, dénoncée dans la série lorsqu’Offred raconte comment
tout a basculé, n’est-elle pas celle à l’œuvre pour imposer par exemple l’idéologie
du «droit à l’enfant», comme en témoigne en France l’avis récent du Comité
consultatif national d’éthique, favorable à l’ouverture de la procréation
médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes ainsi qu’aux femmes
célibataires? Rappelons que les membres de ce Comité issus des « principales familles philosophiques et spirituelles » sont désignés par l'Élysée. De
là à penser que ce Comité n’est qu’une
chambre d’enregistrement des décisions déjà prises dans le cadre politique et
allant dans le sens du « progrès » technologique…
A ce
propos, les États-Unis sont moins le théâtre d’une révolution amish que d’une révolution
numérique où des géants, comme Facebook ou Apple, proposent à leurs
employées de mettre leur horloge biologique sur pause en incluant dans leur
couverture médicale la prise en charge partielle des frais de congélation
d'ovule.
Dans The Handmaid’s Tale, la scène
terrifiante d’accouchement par procuration forcée n’illustre-t-elle pas
involontairement les dérives inévitables de ces évolutions sociétales?
Selon
moi, la barbarie qui se profile à l’horizon de nos sociétés occidentales n’a
pas grand-chose à voir idéologiquement avec le régime totalitaire inventé il y
a 35 ans par Margaret Atwood. Elle prend plutôt la forme monstrueuse et conflictuelle d'une hydre à deux têtes, dont l'une est celle du transhumanisme.
[1]
Evangile selon saint Marc 9,46
[2]
Titre français: La servante écarlate
[3]
Application de réseautage pour faire des
rencontres « coquines » lancée en 2012.
[4] Comportement typique d’une
génération totalement sécularisée, mais qui continue à baptiser ses enfants
(Tant mieux !).
[5]
Sur madmoiZelle.com, site d’un magazine
féministe français.
[6]
Télérama.
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