Inga,
qui cavale entre ses trois emplois pour joindre les deux bouts, aimerait que
son fils unique Veniamine (16 ans environ) sorte de son mutisme et lui explique
pourquoi elle est convoquée par l’école. En fait son Venia refuse de
participer aux cours de natation parce que ses camarades féminines y portent
des bikinis… et qu’il « déclare la guerre à l’immoralité. Car Dieu a dit :
« Quiconque regarde une femme avec convoitise a déjà commis un adultère
dans son cœur » ». Donc à la piscine, il reste habillé et lit sa
petite Bible en reluquant les fesses des filles… Si ce n’était que ça… Mais
bientôt, Venia vide sa chambre de tous ses meubles, déchire le papier peint,
obture la fenêtre et s’enferme pour apprendre par cœur des extraits bibliques…
avec une nette prédilection pour les passages vétérotestamentaires invoquant un
Dieu vengeur et cruel, ou pour les paroles de Jésus secouant son auditoire.
L’adolescent rogue les utilise pour jeter l’anathème sur son entourage : sa
mère, parce qu’elle a divorcé ; le pope du lycée, parce qu’il ne vit pas comme
un pauvre ; son seul copain et « disciple », parce qu’il est
homosexuel ; sa prof de biologie, parce qu’elle enseigne comment enfiler des
préservatifs sur des carottes (et qu’elle est juive)… Bref, Venia est
insupportable de bêtise et, pour une raison inexpliquée, il s’est forgé dans
son coin un personnage de fondamentaliste (pseudo-)chrétien. Face à lui, les
figures d’autorité sont désespérément inconsistantes et complaisantes, que ce
soit sa mère, qui semble avoir oublié les bienfaits de la baffe, la directrice
de l’école, qui se laisse mener par le bout du nez pour avoir la paix, ou le
pope, qui voit dans ce fou de Dieu une recrue potentielle pour son clergé.
Le
Russe Kirill Serebrennikov a transposé à l'écran la pièce d’un dramaturge
allemand qu’il avait déjà montée au théâtre. «Et je ne recommanderais à
personne de tirer un film d'une pièce qu'il a mise en scène. On se bat contre
ce qu'on a fait ! ». Eh bien, on ne s’est pas assez battu : c’est mal
dirigé, les comédiens s’agitent comme des poissons hors de l’eau, les axes de
caméra sont parfois ridicules, la musique est omniprésente et le rythme absent.
Les références des versets que le jeune crétin profère à tout bout de champ
sont systématiquement inscrites à l’image, comme pour rendre le film encore un
peu plus assommant. Tous les personnages - y compris la prof de biologie, qui
est supposée opposer à la folie agressive de l’ado son progressisme « à
l’occidentale » - sont là pour ce qu’ils représentent, et manquent
d’incarnation. Tous sont irritants, en particulier le jeune papelard (1),
qui n’a même pas la cohérence pour lui. « Le Disciple renvoie à la figure de
Tartuffe », explique le réalisateur. « Comme il cite tout le
temps la Bible, on suppose qu'il ne peut pas faire des choses mauvaises. Or il
peut…» Est-ce une découverte ? Jésus dénonçait déjà l’hypocrisie des
Pharisiens.
S’il y a tartufferie, c’est peut-être dans la
démarche de Serebrennikov, bouddhiste qui transpose le problème du fanatisme
actuel (islamique) sur un personnage de chrétien orthodoxe, pour gloser sur la
société russe. Selon lui, « Le fanatisme religieux d'aujourd'hui est
l'héritage du fanatisme totalitaire, qui s'est déplacé vers les pays pauvres
d’Orient. C'est très lié, bien sûr, à la pauvreté, mais aussi à
l'ignorance et au manque de vision de la culture.» Ignorance est en effet le
maître-mot, et le réalisateur pourrait peut-être le méditer, lui qui contribue
au relativisme ambiant, en mettant sur le même plan tous les textes sacrés pour
en dénoncer les détournements.
Le Disciple - seul film russe de la sélection
officielle du dernier festival de Cannes, retenu en section Un Certain Regard -
n’a d’intérêt qu’en tant qu’il participe d’un retour du religieux, y compris au
cinéma. Dans une société russe qui peine à se réveiller du grand rêve/cauchemar
de la religion communiste, le triomphe d'un économisme à l'américaine - car
l'Eglise orthodoxe ne représente pas un concurrent de poids pour les forces en
place - laisse un vide (de sens) qui ne demande qu'à être comblé, fût-ce par
les vents mauvais des fanatismes les plus vindicatifs. Ainsi assiste-t-on à un
retour protéiforme du religieux dans nos sociétés sécularisées, mais étant
donné l’ignorance crasse de nos contemporains en la matière, il prend souvent
des formes stupides, porteuses de clichés (2).
Dans son dernier livre (3),
Régis Debray constate l’omniprésence de « la dérision de la vérité,
qui aboutit à faire de la dérision la seule vérité ». J’ajouterai en la
circonstance : « … et à réaliser des films dérisoires ».
[1]Interprété par Pyotr Skvortsov, qui rappelle Arno Frisch, un des jeunes tueurs de Funny Games de Haneke (1997).
[2] Voir
par exemple la série « The Young Pope » du pourtant brillant Paolo
Sorrentino.
[3] « Allons
au fait - Croyances historiques, réalités religieuses », Gallimard /
France Culture, 2016
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