Pour sa première expédition à
bord d'une navette spatiale, Ryan Stone (Sandra Bullock) accompagne
l'astronaute chevronné Matt Kowalsky (George Clooney) qui effectue son dernier vol
avant de prendre sa retraite. Mais alors qu'il s'agit apparemment d'une banale
sortie dans l'espace, une catastrophe se produit.
Gravity mérite son statut de
film-événement : il offre aux spectateurs des sensations inédites,
résultant de l’état d’apesanteur. État restitué avec une grande virtuosité
technique, notamment via la caméra qui semble elle aussi flotter (on en a
parfois la nausée) et être soumise à la force gravitationnelle. Jamais un film
ne nous avait fait expérimenter les effets de cette force, mutuellement exercée
par les rares corps (humains ou pas) qui se croisent dans la thermosphère :
plus un corps est proche et massif, plus il vous attire ; et à distance
égale, la vitesse d’attraction est la même, que vous soyez plume ou enclume.
Jamais non plus - comme dans cette scène où Ryan tournoie indéfiniment sur
elle-même -, nous n’avions été confrontés à cette autre loi naturelle : dans
le vide interstellaire, rien ne freine un mouvement inertiel. Jamais enfin nous
n’avions fait une chute de plusieurs centaines de km dans une capsule en feu.
L’effet de réalité (du moins pour
les ignares comme moi) et l’utilisation ingénieuse de la 3D contribuent
grandement au plaisir ressenti à baigner dans cet environnement
époustouflant : les vues sur notre planète, la découverte des stations orbitales
fantômes… Le scénario joue d’ailleurs sur cet aspect « nouvelle frontière »
: après le far west des cow-boys et
leur chevaux, la ville des détectives et leurs voitures, voici l’espace des
astronautes et leurs navettes.
Un environnement auquel l’être
humain est a priori peu adapté. Gravity appartient au genre « films de
survie », que j’affectionne particulièrement. Il joue sur des situations
hautement anxiogènes pour le commun des terriens : se retrouver seul dans
le vide interstellaire, avec une réserve en oxygène qui s’épuise, et la menace
de percussion par des débris silencieux ! La technicité des astronautes
est nivelée : on voit Ryan la novice, dans l’urgence, dévisser un gros boulon
ou parcourir le mode d’emploi d’un tableau de bord chinois.
Gravity est donc un film de
divertissement pur, et les comparaisons avec des chefs d’œuvres comme le 2001
de Kubrick sont totalement indues. Le feu d’artifice de dithyrambes qui
accompagne sa sortie m’amène d’ailleurs à m’interroger sur l’importance des
« sensations » dans notre culture occidentale. En tous cas, ce film spatial
est dénué de fond, son scénario et ses personnages sont stéréotypés, et
l’interprétation est attendue : Clooney fait du Clooney (What else ?), Bullock fait du
Bullock (inexpressive) avec un aspect encore plus figé qu’il y a 20 ans dans
Speed, chirurgie esthétique oblige. On est dans l’héroïsme à l’américaine :
tout est possible à force de volonté, d’ingéniosité et de courage. On n’échappe
pas à la fâcheuse pincée de « psy », avec l’inévitable traumatisme
passé qui va être dépassé au terme de l’épreuve initiatique. Bref, à l’instar
de son compatriote Guillermo del Toro (cf n° de septembre), Alfonso Cuaròn est
un réalisateur mexicain doué, passé à la moulinette hollywoodienne. Il paraît
qu’il admire Un condamné à mort s’est échappé de Bresson… un vrai chef d’œuvre,
pour le coup.
Si Gravity est influencé par le
jeu vidéo (notamment l’importance de l’immersion), Quai d’Orsay est pour sa
part l’adaptation d’une bande dessinée. Le second tome a remporté le prix du
meilleur album au Festival d’Angoulême début 2013. La nuit où j’ai découvert
cette perle, j’ai dû constamment étouffer mes éclats de rire et réfréner mes
spasmes pour ne pas réveiller mon épouse. Sous-titrée « chroniques
diplomatiques », la BD est inspirée de l’expérience de son scénariste au
ministère des affaires étrangères entre 2002 et 2004. Le diplomate Antonin
Baudry, spécialiste des questions culturelles, a récemment révélé son identité,
jusqu’alors cachée sous un pseudonyme. A l’époque, fraîchement diplômé des plus
prestigieuses grandes écoles françaises, il était engagé dans l’équipe de
Dominique de Villepin comme Conseiller en charge des « langages »,
autrement dit de la rédaction des discours du ministre.
La BD relate l’immersion
du jeune ingénu au sein des équipes diplomatiques qui gravitent autour du
flamboyant ministre, en subissant son rythme de travail délirant et en tentant
de suivre les envolées virevoltantes de sa pensée. Le scénario fourmille de
détails hilarants et le dessinateur croque les personnages avec un rare talent
expressif (Villepin est réduit à une sorte de squale en veste épaulée).
L’adaptation de Bertrand Tavernier[1]
n’apporte pas grand’ chose. Thierry Lhermitte fait ce qu’il peut mais il est
évidemment moins percutant que la caricature qu’il incarne, et n’a pas le
phrasé si particulier de Villepin que le lecteur des bulles reproduisait
instinctivement. Niels Arestrup est
étonnant en Directeur de Cabinet toujours calme dans la tempête. Pour sa première
comédie, Tavernier n’a donc pas réalisé un film inoubliable, mais je serais
bien resté au-delà des 2h avec ce commando loufoque, à participer aux décisions
géostratégiques de la France.
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