Le film français L’Enquête sort au moment où l’où reparle
de l’affaire Swissleaks, l’évasion
fiscale organisée par la HSBC Private Bank Genève pour plus de 100 000 clients
domiciliés dans 200 pays : 180 milliards d’€ en 5 mois, début 2007 ! Le
juge parisien Renaud Van Ruymbeke, en charge de l’instruction, est un des
personnages de L’Enquête, où il est
interprété par Charles Berling. Mais le héros du film est Denis Robert (Gilles
Lelouche) le journaliste qui, en 1996, incite sept grands magistrats européens
anti-corruption à lancer l’Appel de Genève. Trois ans plus tard, il enquête au
Luxembourg sur Clearstream, une chambre de compensation créée en 1971 par un
consortium de banques pour centraliser l’ensemble des opérations internationales
de transferts de titres et de capitaux. En 2001, son livre, « Révélation$ »,
décrit comment ce système a pu être détourné pour blanchir l’argent sale à travers
des comptes non publiés. S’ensuit une gigantesque polémique qui entraîne le
journaliste pot de terre dans un interminable harcèlement judiciaire par le pot
de fer de la finance internationale.
Le film traite aussi du deuxième
volet de l’affaire, où entrent en scène Imad Lahoud, un ancien trader condamné
pour escroquerie, Jean-Louis Gergorin, stratège du groupe militaro-industriel
européen EADS, et le Général Philippe Rondot, maître-espion des services
secrets français. Peu à peu, on découvre les méandres de plusieurs affaires
sulfureuses, comme celle du système de corruption lié au contrat des frégates
de Taiwan, impliquant le groupe Thomson (concurrent d’EADS), les dirigeants
communistes chinois, les militaires taïwanais… et le pouvoir politique
français. Une histoire aussi rocambolesque que glaçante, avec son lot de manipulations
et d’assassinats.
Saluons le projet : rares
sont les films français osant traiter de scandales institutionnels récents.
Louons le résultat : le réalisateur Vincent Garenq arrive à nous faire
surnager dans les eaux plus que troubles de cette affaire Clearstream[1]
(« courant limpide » !). Le film est bien maîtrisé, les acteurs
sont sobres et justes, même les seconds rôles. Rendons hommage au courage et la
pugnacité de Denis Robert : « Si
j’avais su à quoi je m’attaquais », dit son personnage en préambule,
« je crois que je n’y serais pas
allé. Le problème, c’est que je ne pouvais pas deviner. Alors, j’ai
enquêté ».
Alexeï Guerman est mort il y a
deux ans, alors que son film n’était pas encore mixé : Il est difficile d’être un dieu lui
a demandé 15 ans de travail ! Cette adaptation d’un roman de
science-fiction des frères Strougatski[2] est
supposée raconter l’histoire de Don Rumata, un des scientifiques envoyés sur la
planète Arkanar, où règne un tyran dont les milices répriment sauvagement
artistes et intellectuels. Divinisé par la population, Don Rumata engage une
guerre contre ce régime tyrannique.
Le chef opérateur non plus n’a pas
survécu à ce tournage hors-norme. Mais il nous a légué une image en noir et
blanc somptueuse. Et dans les longs plans séquences mobiles, une foultitude de
figurants et d’accessoires sont mis en scène à différents plans avec une époustouflante
précision.
Cependant, sur la longueur
(2h50), la vision du film devient une expérience éprouvante. Imaginez-vous
plongé(e) dans une œuvre de Jérôme Bosch, ou les compositions monstrueuses de l’artiste flamand Cornelis Floris de
Vriendt, ces affreux mélanges d’organes, de cartilages, de muqueuses. Car
l’esthétique du film relève du grotesque. Dans un décor tellurique de tranchées boueuses,
de caves humides ornées parfois de vestiges de fresques, le règne végétal,
comme le soleil, est absent. Les rideaux de pluie, les nappes de
brouillard ou les fumées restreignent la perspective. Arkanar
est un univers confiné où grouille une populace moyenâgeuse, sale, bâfrant des carcasses, déversant ses
humeurs à tout-va : crachats, morve, vomis, sang, sueur, bile, fèces… Une
humanité aliénée réduite à des gesticulations, des grimaces, des grosses
fesses. Le comique n’est jamais loin de ce monde tragique, hérissé de potences,
où l’on se cogne à des cages de suppliciés, où les enfants jouent avec les
cadavres dans la gadoue.
La direction d’acteurs opte trop systématiquement
pour les gestes incongrus, les bousculades absurdes, le langage disloqué.
L’inquiétante étrangeté est cherchée dans le moindre figurant : gueules
cassées, physiques difformes, handicapés mentaux, nains, manchots, pieds-bots…
Stupéfié d’apprendre la durée moyenne d’un tournage en France, le réalisateur
russe aurait dit : « Huit semaines me suffisent à peine
pour choisir un visage intéressant. »
Il est difficile d’être un dieu est un cauchemar. Sans répit (en
dynamique constante), sans amour, sans Dieu. Mais il ressortit de la partie sombre, infernale,
d’une vision dualiste de la création qui, selon Victor Hugo, n’existerait pas
sans le christianisme : « le
laid à côté du beau, le difforme près du gracieux, le grotesque au revers du
sublime, le mal avec le bien, l’ombre avec la lumière »[3].
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