Nous trois ou rien relate
l’histoire vraie d’Hibat et Fereshteh. Né dans un village iranien au sein d’une
famille modeste de douze enfants, Hibat parvient à faire des études, obtient un
diplôme d’avocat, s’oppose à la dictature du Shah et se retrouve en prison. Parce
qu’il refuse le gâteau offert aux détenus à l’anniversaire du despote, il
est soumis à l’isolement et à la torture. Au bout de 7 ans, il est relâché grâce
à la pression populaire révolutionnaire. L’insoumis épouse Fereshteh, une forte
personnalité, et reprend la lutte clandestine. En 1979, une dictature en
chassant une autre, Hibat intègre les réseaux de résistance au régime islamiste
de Khomeini. Quatre ans plus tard, le couple menacé décide de fuir le pays avec
leur nouveau-né. Après un périple à travers les montagnes enneigées, ils
arrivent en Turquie. Là, ils poursuivent la lutte à distance, puis partent pour
le « pays des droits de l’homme » :
ils se retrouvent dans une banlieue au nord de Paris. Comprenant bientôt que
leur exil est définitif, ils apprennent le français, font des études et
trouvent du travail dans la médiation sociale. Leur nouvel engagement, au sein
de quartiers-ghettos, pour l'intégration des immigrés et l'émancipation des
femmes, est couronné par la remise à Hibat de la Légion d’honneur.
Nous trois ou rien est un hommage
du réalisateur à ses parents. Au-delà du récit familial, l’histoire résonne
avec l’actualité. On est loin cependant de Dheepan[1].
Dans ce premier film, Kheiron a opté pour un traitement comique, comme de
nombreux enfants d’immigrés s’exprimant avec le point de vue décalé que leur
confère leur double culture : des
humoristes TV, comme Kheiron, ou des auteurs de BD comme Marjane Satrapi
(Iran), Riad Sattouf (Syrie), ou Joann Sfar (Algérie). Pour beaucoup, le
passage au cinéma semble évident, tant dans notre culture de l’image le 7ème
art consacre la célébrité. En tous cas, à voir le film de Kheiron, on se
demande pourquoi il a choisi la forme cinématographique. L’humour potache et le
parler djeune rappellent plutôt le
décalage assumé de la shortcom[2]
Kaamelott. On retrouve d’ailleurs Alexandre Astier dans le rôle du Shah (!) aux
côtés de Leïla Bekhti (Fereshteh), Gérard Darmon, Zabou Breitman et Kheiron
lui-même (Hibat). « Le fond est dur.
Si la forme avait été dure, on aurait fait chier tout le monde »,
explique le comédien. Et le résultat est plat. Le destin dense d’Hibat et
Fereshteh méritait un film, mais le parti-pris de légèreté et l’absence de
style donnent l’impression que le réalisateur n’a été qu’effleuré par son sujet.
Le Bouton de Nacre, superbe
documentaire du Chilien Patricio Guzmán (74 ans), rend quant à lui hommage aux Amérindiens
qui peuplaient, durant des milliers d’années, la Patagonie occidentale, au sud
du Chili. Les différentes ethnies se déplaçaient en canoës d’île en île, dans
les méandres du plus vaste archipel au monde, qui s’étend jusqu’à la pointe
extrême du continent. Isolés de tout, ces nomades de l’eau supportaient le
froid polaire, avec des vents de 200 km/h. Mais à partir du XVIè siècle, ils
ont été exterminés par les colons et la « civilisation ». Parmi la
vingtaine de survivants, Cristina, 86 ans, est la dernière représentante de
l’ethnie yagán. Elle prononce dans sa langue agonisante les mots que lui
demandent de traduire le réalisateur ; pour « dieu » et « police »,
elle cale. Son neveu sait encore fabriquer des canoës à l’ancienne, mais les
autorités lui interdisent « pour sa sécurité » de les utiliser ;
pourtant il raconte comment, enfant, il a traversé le cap Horn en canoë avec
son père !
Pourquoi les Chiliens, qui disposent de milliers de kilomètres
de côtes, ne sont-ils pas tournés vers l’océan comme l’étaient ces indigènes ?
regrette Guzmán. Et de livrer d’inspirantes réflexions sur l’eau, sur des plans
à la beauté plastique époustouflante : vue aériennes sur les fjords,
cathédrales de glace bleue à la dérive, reflets, ondes, scintillements… Dans le
désert d’Atacama - le plus aride au monde - les dizaines d’antennes
paraboliques des observatoires ont détecté la présence d’eau dans presque tout
l’univers. « Il paraît que l’eau est
venue de l’espace et que la vie a été apportée par les comètes, qui ont formé
les océans.» Un petit bloc de quartz est manipulé pour faire bouger la goutte
d'eau, vieille de 3000 ans, qu’il renferme.
Difficile de rendre compte de ce
film très riche, qui conjugue des approches cosmologiques, ethnographiques,
philosophiques, poétiques et politiques. Un fil rouge sang relie deux boutons
que le réalisateur remonte à la surface de la mémoire collective de son pays :
celui qui, au XIXè siècle, servit à un capitaine anglais de monnaie d’échange
pour l’achat d’un indigène ; et celui retrouvé, collé avec des coquillages,
sur le rail qui lestait un des corps jetés dans l’océan, depuis un hélicoptère,
par les tortionnaires de Pinochet.
Le Bouton de Nacre a eu le Prix
du jury œcuménique au Festival de Berlin. «Au
Chili, j’ai un public qui connaît mes films, environ 5000 personnes », disait Guzmán dans un entretien il y a
quelques mois. « Mais aucune chaîne
ne les diffuse. C’est arrivé une seule fois. On a passé Nostalgie de la lumière
à une heure du matin, avec les bobines dans le mauvais ordre. »
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