Carol raconte le début d’un amour
entre deux femmes d’âges et de milieux très différents, à New York, en 1952.
Thérèse (Rooney Mara) est une jeune et menue brune, un peu farouche, qui, en
attendant de trouver sa voie dans la photographie, est vendeuse au rayon
poupées d’un grand magasin. Carol (Cate Blanchett) est une femme mûre, grande, blonde
et sophistiquée, en instance de divorce de Harge (Kyle Chandler), avec qui elle
a vécu une union confortable (Harge est riche et issu d’un milieu bourgeois),
féconde (Rindy, 4 ans), mais contraire à ses inclinations sexuelles. Après le
coup de foudre, la relation entre les deux femmes s’approfondit à mesure
qu’elle se fraye un espace dans une société où elle est considérée comme
déviante. Thérèse prend ses distances avec son soupirant. Carol affronte Harge
qui, au fait de ses infidélités passées avec la marraine de Rindy, manigance
pour avoir la garde exclusive de la petite.
Actuellement est diffusée à la
télévision française une publicité, pour le leader européen des sites de
rencontres, qui met en scène un couple de femmes. Normal : depuis quelques
années, les lesbiennes sont en vogue dans le cinéma occidental[1].
Mais mon admiration pour Todd Haynes, le réalisateur de Carol, remonte à vingt
ans en arrière, lorsque j’ai vu Safe, son deuxième long-métrage. J’y avais
découvert Julianne Moore, avec qui Haynes a retravaillé en 2002 pour Far from
Heaven, magnifique mélo qui, comme Carol, racontait des histoires d’amour
(interraciales ou homosexuelles) contrariées par le carcan social des années 50.
A la fois proche dans le temps et
éloignée en matière de mœurs, cette période est prisée par les scénaristes
américains[2]
qui peuvent aborder des sujets « sociétaux » avec juste ce qu’il faut
de décalage pour une mise en perspective. Adapté du deuxième roman de Patricia
Highsmith publié sous pseudonyme en 1952, Carol est un film d’amour qui peut
toucher toutes celles et ceux qui sont ou ont été amoureux, quelle que soit
leur orientation sexuelle. La construction en un long flash-back confère au
récit une distance mélancolique. Depuis le générique, dont les titrages lilas annoncent
le genre mélo, jusqu’au dernier plan, magnifique - un regard de reconnaissance
amoureuse, d’accueil émerveillé -, le film vibre délicatement, pendant deux
heures, selon une esthétique pointilliste qui capte l’intensité particulière de
l’instant présent, le « je ne sais
quoi et le presque rien »[3] :
les tons pastels un peu ternes ; la partition à la Philip Glass de Carter Burwell ;
le jeu en retenue et sensualité ; l’atmosphère d’un hiver pluvieux à
Manhattan, à travers les vitres emperlées des taxis ou dans les lieux classes
et feutrés fréquentés par la haute société. Cate Blanchett, impériale, rappelle
Lauren Bacall (en blonde) ; Rooney Mara (prix d’interprétation féminine à
Cannes) Audrey Hepburn.
Dommage que les rôles secondaires
ne soient considérés que comme des faire-valoir : les hommes manquent de
consistance et de charisme, et les autres femmes - les bourgeoises mariées ou
les lesbiennes qui repèrent instinctivement leurs pairs - ne sont pas
présentées à leur avantage. Le scénario non plus n’est pas exempt de clichés,
comme le décalage entre la fille un peu perdue et la femme plus expérimentée,
ou encore l’échappée amoureuse proposée par Carol le jour même de Noël et des Christmas carols.
Autre mélo qui surfe sur une vague
idéologique actuelle (ici le transgenre) en convoquant une époque passée (la
fin des années 1920) : The Danish Girl. Einar Wegener est un peintre paysagiste
qui connaît un certain succès à Copenhague. Son épouse Gerda, portraitiste,
peine à percer. Le tempérament dominateur de Gerda ravit Einar. Un jour, Gerda
lui enjoint d’enfiler des bas, une robe, des chaussures à talon, et de prendre
une pose féminine pour remplacer un modèle absent. Pour Einar, c’est une soudaine
épiphanie identitaire : il jouit intensément de ce travestissement. Il se met à
poser régulièrement en femme pour Gerda, et le résultat séduit une grande
galerie parisienne. Par jeu, Gerda propose un soir à Einar de se déguiser en
femme pour se rendre à une fête. Le personnage de Lili est né. Il s’impose peu
à peu à la psyché d’Einar. En public, Lili minaude et se fait courtiser. La
malheureuse Gerda encaisse, et est bientôt désemparée, se retrouvant mariée à un
autre être. Elle résiste aux avances de Hans, un ami d’enfance d’Einar, et
soutient ce dernier lorsqu’il décide de subir une vaginoplastie, opération
alors inédite à laquelle il ne survivra pas.
Inspiré d’une histoire vraie, The
Danish Girl traite son sujet avec humanité, mais de manière affectée et convenue :
Tom Hooper, le réalisateur du Discours d’un roi, vise à nouveau les Oscars.
Contrairement au message du carton final, le personnage égocentré d’Einar est plus
agaçant qu’héroïque, et le jeu d’Eddie Redmayne n’arrange rien. C’est plutôt
Gerda (Alicia Vikander, intéressante) qui est exemplaire, par sa fidélité conjugale.
Le belge Matthias Schœnhaerts (Hans) est comme toujours formidable.
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