« L’Exercice de l’Etat »
est le deuxième long-métrage de Pierre Schoeller.
Ce grand film témoigne d’une
exigence esthétique que partagent d’autres réalisateurs avec qui Schoeller a
collaboré : Jean-Pierre Limosin, dont le téléfilm « Carmen » (avec
l’incroyable James Thierrée, petit-fils de Chaplin) a été co-écrit par Schoeller ;
les frères Dardenne, qui ont produit « L’exercice de l’Etat » et
« prêté » à Schoeller leur comédien fétiche, l’« énorme »
Olivier Gourmet (« La Promesse », « L’Enfant », « Le
Gamin au vélo »).
Avouons-le d’emblée : je
suis loin d’avoir tout compris, mais ce n’est généralement pas un défaut pour
moi, au contraire. Extrêmement documenté, ce film rend compte des arcanes d’un
univers inaccessible au commun des citoyens : celui du pouvoir politique.
Qui n’a jamais rêvé d’être une petite souris dans la poche d’un ministre ?
Eh bien, c’est ce qui nous est proposé ici, le costume étant celui d’un
ministre français des transports, Bertrand Saint-Jean, magistralement incarné
par Olivier Gourmet. Parachuté ainsi dans la chronique d’une tranche de carrière
politique, le béotien que je suis n’a ni les connaissances des rouages
institutionnels ni l’agilité intellectuelle nécessaires pour suivre cet exercice étatique épuisant, au rythme
effréné. Mais il a assez de recul pour constater, ébahi, à quel point les
fauves du pouvoir ne vivent jamais dans l’ici
et maintenant. En témoigne leur utilisation frénétique des smart-phones, dégainés
par paire pour gérer au mieux les enjeux d’une conversation ! Objets de
déréalisation d’ailleurs ingénieusement mis en scène, les messages de leurs
écrans s’inscrivant en surimpression sur la « réalité ».
Le film lui-même n’est en rien
désincarné, intellectuel : par de nombreux détails, Schoeller nous fait
partager le quotidien concret, les petites habitudes, les menus maux de Saint-Jean.
Et la séquence d’ouverture, onirique, nous fait entrer dans sa psyché.
Schoeller ne cherche pas à
désigner un gouvernement particulier (même si…), ni à inventer un enjeu
dramatique artificiel. C’est ce qui déroutera peut-être les spectateurs adeptes
de scénarios plus romanesques. Mais ce film sec ne manque pas de rythme, avec
quelques scènes de rupture dont la brusque violence (sur le mode spectaculaire
ou feutré) est brillamment mise en scène.
La politique s’apparente à un
combat constant (« la politique est une
meurtrissure permanente » dit Saint-Jean), et « faire le job » se réduit souvent à gérer une image, des symboles. « Ça vous raconte quoi ? »
est une expression qui revient dans les séances de travail du cabinet
ministériel. « L’important ce n’est
pas la gare, ce n’est pas la ville, c’est l’histoire que ça raconte : un
geste inaugural avant la grande bagarre ! » explique le ministre
à son équipe.
Tous les comédiens sont
convaincants : Zabou Breitman en conseillère en communication, Michel Blanc
en directeur de cabinet. Quant à Olivier Gourmet, il campe un personnage
énergique, lucide et attachant, qui renonce à ses convictions pour rester dans
la course. « Bertrand, tu n’es pas
là pour refaire le monde », lui dit le « PR » (le président). « Tu es là pour reprendre les 5 points de sondage qu’on va perdre
avec les gares. Alors je veux de l’écoute, du terrain, tu laboures, tu fonces,
là où ça gronde. »
J’aurais aimé défendre
« Jeanne la captive ». Avant de le voir, miroitait vaguement la possibilité
de découvrir une descendance aux chefs-d’œuvre de Dreyer et Bresson sur la
Pucelle d’Orléans. Et puis, je n’avais vu aucun film de Philippe Ramos, mais je
savais qu’il faisait ses films dans son coin, vaille que vaille, ce qui
inspirait a priori ma sympathie. Pourtant au générique de fin, lorsque j’ai lu
que Ramos avait signé la réalisation, l’image, le montage… et participé aux
décors, j’y ai vu une raison probable de son échec : n’a-t-il pas manqué
de recul critique, de souffle ?
Car on sent bien une ambition
cinématographique, la quête de moments de grâce. Mais rien ne fonctionne, c’est
plat. On n’est pas emporté (même par « La Passion selon saint
Mathieu » de Bach !), on s’ennuie ferme…
Le récit débute alors que la guerre est terminée. Jeanne
d'Arc (Clémence Poésy) est sur le point d'être vendue aux Anglais. En
soi, le choix de se concentrer sur les à-côtés de la grande Histoire et les
personnages qui ont fréquenté Jeanne après sa capture, est un parti-pris
intéressant. Mais pour en faire quoi ?
Le personnage de Jeanne n’est pas attachant. Ramos en fait une jeune femme apathique, murée dans un silence boudeur, ballotée d'un lieu de détention à un autre.
Le personnage de Jeanne n’est pas attachant. Ramos en fait une jeune femme apathique, murée dans un silence boudeur, ballotée d'un lieu de détention à un autre.
La faiblesse la plus évidente est
le casting. Les Anglais s’en tirent mieux que les Français, désespérément
ternes, la palme du falot revenant à Louis-Do de Lencquesaing, supposé incarner
un méchant Jean de Luxembourg. Jean-François Stévenin ne fait malheureusement
qu’une brève apparition en moine.
La séquence de Jeanne en prison
avec le médecin (Thierry Frémont) est sans intérêt. La photo y est triste, on
croirait que c’est tourné en numérique.
Dans les séquences de foule, les
gros-plans sur les figurants sentent trop la contrainte budgétaire.
Même la mise en forme des
phénomènes miraculeux est ratée, comme cette scène où les soldats anglais se
trouvent soudain face un océan houleux, mais totalement silencieux.
Restent tout de même le charme de
la musique médiévale, et une scène où se croisent le moine et un prédicateur
(Mathieu Almaric, qui ne fait littéralement que passer) : un moment bref
où advient une étincelle mystique.


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