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mercredi 28 septembre 2016

Janvier 2013 : "Tabou" de Miguel Gomes / "Life of Pi" de Ang Lee

Tabou est un film original qui se présente en deux parties bien distinctes. La première, intitulée « Paradis perdu », se déroule de nos jours à Lisbonne. Tous les personnages y sont tristes ou déprimés. Il y a en particulier Pilar, 60 ans, une catholique pieuse qui vit seule et est engagée dans des groupes caritatifs ou d’entraide. Elle va vouloir aider sa voisine de palier, une vieille dame qui perd son argent au casino et la boule chez elle : Aurora se dit victime des pratiques vaudou de sa bonne antillaise. Bientôt, sur son lit de mort, Aurora souhaite revoir un homme : Ventura. C’est lui qui, dans la deuxième partie, raconte l’histoire de leur liaison, dans les années 60, dans une colonie portugaise en Afrique. Cette partie, intitulée « Paradis », se distingue par sa forme inhabituelle : voix off très littéraire, sur des images en noir et blanc, au format 16mm, presque muettes (quelques sons, mais aucun dialogue audible).
Tabou est un film sur la jeunesse perdue, empreint de la fameuse saudade portugaise, une mélancolie teintée de nostalgie… Le réalisateur Miguel Gomes estime que « le cinéma aujourd’hui est un peu comme ce personnage d’Aurora : sa jeunesse lui manque, l’âge où Murnau faisait des films, où le spectateur était plus innocent, moins conscient… »
Car ce réalisateur cinéphile est un admirateur éperdu de Murnau, l’auteur dans les années 20 de chefs-d’œuvre comme L’Aurore, Le dernier des hommes, ou Nosferatu le Vampire. Gomes a d’ailleurs directement emprunté le titre de son film et de ses « chapitres » à la dernière œuvre du génie allemand. Le premier Tabou couplait la maîtrise de Murnau à l’ouverture au monde de Robert Flaherty, le grand documentariste de l’époque, qui avait participé à la réalisation. On retrouve cette approche hybride dans le film de Gomes.
« J’ai l’impression que par rapport à un cinéma dominant, américain, la réponse européenne ces dernières années, c’est surtout un cinéma réaliste. Certes, il y a de très bons films dans tous les registres, mais moi je me sens beaucoup plus proche d’un cinéma qui n’essaie pas d’imiter la vie. Ce que j’aime au cinéma, c’est des choses comme « Le magicien d’Oz », des films où il y a un monde avec des règles inventées ; pas les mêmes règles que dans la vie. »
Gomes ose effectivement se lancer dans certaines voies formelles peu fréquentées. Mais le résultat ne m’a pas paru toujours réussi, et mes attentes (nées de la bande-annonce) ont été quelque peu déçues. Le film, qui dure 1h50, aurait notamment gagné à être raccourci, surtout dans la première partie, comme ce monologue de 4 minutes où Aurora raconte un rêve pour justifier sa présence au casino…

Suivant une voie expérimentale quasiment opposée, avec des moyens financiers et techniques incomparables, Ang Lee nous emmène, avec Life of Pi, dans un monde fabuleux, où les merveilles de la nature sont reproduites, rehaussées, ornementées avec maestria : épatantes images de synthèse (non identifiables), judicieuse utilisation de la 3D (avec son effet « déréalisant ») pour un film d’aventure qui se présente, dès le générique, comme un livre d’images offert à notre émerveillement…
Adapté d’un roman canadien à succès paru en 2001, le film raconte l’odyssée de Pi Patel, jeune Indien de Pondichéry, qui après le naufrage du cargo où il s’était embarqué avec sa famille et les animaux de leur zoo, se retrouve coincé sur un canot de sauvetage en compagnie d’un zèbre, d’une hyène, d’un orang-outang et d’un tigre du Bengale ! Situation qui ne peut être qu’intéressante ! L’essentiel de l’intrigue se développe ensuite autour de l’organisation de la survie de Pi… et du tigre. Personnellement, j’ai chaussé mes lunettes et j’ai embarqué avec grand plaisir dans cette histoire de survie exceptionnelle.
Ce genre d’expérience initiatique solitaire, face à la nature immense et terrible, est propice à la réflexion métaphysique. Mais le propos exprimé ici tient du vernis new age et d’une religiosité très enfantine. Probablement imputable au roman, ce côté « supermarché des religions » peut être aussi le résultat du bras de fer entre le réalisateur et la 20th Century Fox, qui destinait son film « au public des centres commerciaux » !… « du monde entier » faudrait-il ajouter, sachant que le budget de production a été de 120 millions de $.

Ang Lee est un réalisateur surdoué, qui a fait preuve de ses talents protéiformes dans des films aux ambitions très diverses : Raisons et sentiments, Ice storm, Tigre et dragon, Le Secret de Brokeback Mountain… Dans Life of Pi, il a tenu bon sur un point qui fait que son film au budget de blockbuster se distingue de la guimauve anthropomorphique habituellement servie par certains studios américains : les rapports entre Pi et les animaux sont marqués d’une distance respectueuse. Il y a d’ailleurs, au début du récit, un clin d’œil ironique à un anthropomorphisme qui ne peut qu’exploser ensuite dans le face à face de survie : suite à une erreur à l’enregistrement de son acquisition par le zoo, le tigre a été affublé du nom de son ancien propriétaire, Richard Parker. Or, durant leur cohabitation forcée sur la coque de noix, le jeune Indien ne s’adresse jamais au magnifique fauve (en pensées ou en paroles) par son prénom, mais en lui donnant toujours du « Richard Parker » !

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