Tabou est un film original qui se
présente en deux parties bien distinctes. La première, intitulée « Paradis
perdu », se déroule de nos jours à Lisbonne. Tous les personnages y sont tristes
ou déprimés. Il y a en particulier Pilar, 60 ans, une catholique pieuse qui vit
seule et est engagée dans des groupes caritatifs ou d’entraide. Elle va vouloir
aider sa voisine de palier, une vieille dame qui perd son argent au casino et
la boule chez elle : Aurora se dit victime des pratiques vaudou de sa
bonne antillaise. Bientôt, sur son lit de mort, Aurora souhaite revoir un
homme : Ventura. C’est lui qui, dans la deuxième partie, raconte l’histoire
de leur liaison, dans les années 60, dans une colonie portugaise en Afrique. Cette
partie, intitulée « Paradis », se distingue par sa forme inhabituelle :
voix off très littéraire, sur des images en noir et blanc, au format 16mm, presque
muettes (quelques sons, mais aucun dialogue audible).
Tabou est un film sur la jeunesse
perdue, empreint de la fameuse saudade
portugaise, une mélancolie teintée de nostalgie… Le réalisateur Miguel Gomes
estime que « le cinéma aujourd’hui
est un peu comme ce personnage d’Aurora : sa jeunesse lui manque, l’âge où
Murnau faisait des films, où le spectateur était plus innocent, moins
conscient… »
Car ce réalisateur cinéphile est un admirateur éperdu de Murnau, l’auteur
dans les années 20 de chefs-d’œuvre comme L’Aurore, Le dernier des hommes, ou
Nosferatu le Vampire. Gomes a d’ailleurs directement emprunté le titre de son
film et de ses « chapitres » à la dernière œuvre du génie allemand. Le
premier Tabou couplait la maîtrise de Murnau à l’ouverture au monde de Robert
Flaherty, le grand documentariste de l’époque, qui avait participé à la
réalisation. On retrouve cette approche hybride dans le film de Gomes.
« J’ai l’impression que par rapport à un cinéma dominant, américain,
la réponse européenne ces dernières années, c’est surtout un cinéma réaliste.
Certes, il y a de très bons films dans tous les registres, mais moi je me sens
beaucoup plus proche d’un cinéma qui n’essaie pas d’imiter la vie. Ce que
j’aime au cinéma, c’est des choses comme « Le magicien d’Oz », des
films où il y a un monde avec des règles inventées ; pas les mêmes règles
que dans la vie. »
Gomes ose effectivement se lancer
dans certaines voies formelles peu fréquentées. Mais le résultat ne m’a pas
paru toujours réussi, et mes attentes (nées de la bande-annonce) ont été quelque
peu déçues. Le film, qui dure 1h50, aurait notamment gagné à être raccourci, surtout
dans la première partie, comme ce monologue de 4 minutes où Aurora raconte un
rêve pour justifier sa présence au casino…
Suivant une voie expérimentale
quasiment opposée, avec des moyens financiers et techniques incomparables, Ang
Lee nous emmène, avec Life of Pi, dans un monde fabuleux, où les merveilles de
la nature sont reproduites, rehaussées, ornementées avec maestria : épatantes
images de synthèse (non identifiables), judicieuse utilisation de la 3D
(avec son effet « déréalisant ») pour un film d’aventure qui se
présente, dès le générique, comme un livre d’images offert à notre
émerveillement…
Adapté d’un roman canadien à
succès paru en 2001, le film raconte l’odyssée de Pi Patel, jeune Indien de
Pondichéry, qui après le naufrage du cargo où il s’était embarqué avec sa famille
et les animaux de leur zoo, se retrouve coincé sur un canot de sauvetage en
compagnie d’un zèbre, d’une hyène, d’un orang-outang et d’un tigre du
Bengale ! Situation qui ne peut être qu’intéressante ! L’essentiel de
l’intrigue se développe ensuite autour de l’organisation de la survie de Pi… et
du tigre. Personnellement, j’ai chaussé mes lunettes et j’ai embarqué avec
grand plaisir dans cette histoire de survie exceptionnelle.
Ce genre d’expérience initiatique
solitaire, face à la nature immense et terrible, est propice à la réflexion
métaphysique. Mais le propos exprimé ici tient du vernis new age et d’une religiosité très enfantine. Probablement imputable
au roman, ce côté « supermarché des religions » peut être aussi le
résultat du bras de fer entre le réalisateur et la 20th Century Fox, qui destinait
son film « au public des centres
commerciaux » !… « du monde entier » faudrait-il
ajouter, sachant que le budget de production a été de 120 millions de $.
Ang Lee est un réalisateur
surdoué, qui a fait preuve de ses talents protéiformes dans des films aux
ambitions très diverses : Raisons et sentiments, Ice
storm, Tigre et dragon, Le Secret de Brokeback
Mountain… Dans Life of Pi, il a tenu bon sur un point qui
fait que son film au budget de blockbuster
se distingue de la guimauve anthropomorphique habituellement servie par
certains studios américains : les rapports entre Pi et les animaux sont
marqués d’une distance respectueuse. Il y a d’ailleurs, au début du récit, un
clin d’œil ironique à un anthropomorphisme qui ne peut qu’exploser ensuite dans
le face à face de survie : suite à une erreur à l’enregistrement de son acquisition
par le zoo, le tigre a été affublé du nom de son ancien propriétaire, Richard
Parker. Or, durant leur cohabitation forcée sur la coque de noix, le jeune
Indien ne s’adresse jamais au magnifique fauve (en pensées ou en paroles) par
son prénom, mais en lui donnant toujours du « Richard Parker » !


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